Rude hiver

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     Un petit quotidien s'était installé dans mon jardin ces dernières semaines. Enfin mon potager commençait à donner quelque chose et je pouvais davantage manger à ma faim, même si je mettais un point d'honneur à faire des réserves pour l'hiver qui approchait dangereusement. Je passais mes journées à entretenir, replanter, arroser, cueillir, sécher, arranger, conserver, je commençais un peu à m'ennuyer. Les moments où je prenais un peu plus de plaisir étaient les temps de chasse. Il 'y avait plus beaucoup de bestioles dehors et je n'étais pas sûre de la comestibilité de la plupart d'entre elles, mais parfois une petite taupe sauvage ou d'autres vermines dans le genre garnissaient mon assiette pour me changer des repas fades et répétitifs de tout les jours. Ce que j'adorais ça, parcourir les bois pour traquer ceux qui normalement nous traquent. J'étais fière de dire que j'avais inversé la tendance, avec les petites bêtes tout du moins car l'idée d'à nouveau rencontrer une de ces araignées géantes avec ses centaines d'yeux me tétanisait. Était-il possible de créer pire abomination? Probablement pas.
     Mon nouveau petit copain quand à lui revenait régulièrement me voir, même si il restait tout de même à distance la plupart du temps. Il aimait surtout piquer ma nourriture à vrai dire, mais j'aimais savoir qu'il était toujours là quelque pars. Sa présence amoindrissait ma solitude qui parfois pouvait devenir très pesante. A force de le voir, j'avais fini par me dire qu'il faudrait peut-être lui donner un nom. La créature ne le reconnaîtrait probablement jamais, mais je trouvais cette symbolique assez importante. C'était comme si j l'adoptais d'une certaine façon. J'y avais réfléchis longtemps avant que l'évidence ne me vienne un soir en retombant sur la plus précieuse de mes possessions : Une photo de moi et de mon père que nous avions pris lors d'un de mes anniversaires au photomaton du centre commercial où nous habitions. Ce trésor que j'avais fini par oublier au fond de mon sac et qui trônait maintenant bien en évidence sur un petit meuble m'avait rappelé le plus beau cadeau que mon père m'avait offert, mon seul et unique livre. Malheureusement l'ouvrage avait été perdu lors du génocide de ma colonie, mais le nom resterait à jamais gravé dans mon cœur. Désormais, en la mémoire de mon père, mon ami le monstre s'appellerait Croc Blanc. 

     Et voila, c'était enfin l'hiver. Blottie dans mon poncho de laine, j'eu du mal à mettre le nez dehors aujourd'hui. Il faisait tellement froid et c'était ma toute première saison froide que je passais en dehors de la bâtisse imposante que fût ma maison auparavant. Les murs en bois de ma cabane n'étaient pas isolés et le gel recouvrait l'unique vitre qui donnait sur l'extérieur. On ne pouvait pas voir au travers. Il allait sûrement neiger d'ici peu.  Heureusement, avec toutes mes prises à la chasse, j'avais pu récupérer les peaux de mes proies pour me confectionner plusieurs capes chaudes en plus de mon manteau et m'éviter d'entrer en hypothermie. Ce n'était cependant toujours pas une partie de plaisir d'affronter la température tout les jours.
     Les journées très courtes étaient un véritable problème pour moi car soit je m'adaptais au cycle jour court nuit longue et je renonçais à la plupart de mes tâches journalières, soit je prenais le risque de sortir de nuit pour avoir le temps de tout effectuer. Je ne pouvais pas me permettre de laisser des choses de côté, j'avais donc voté pour la seconde option. Je pris finalement mon courage à deux mains en plus de mon arc, m'équipant pour faire une chasse de bon matin. Je m'étais aussi munie d'un long couteau confectionné par mes propres moyens et ma dernière gourde d'eau potable. Il fallait absolument que je refasse du stock à la rivière aujourd'hui ou demain, mais mon estomac gargouillant était ma priorité pour le moment. Je fis quelques pas en direction de la forêt, prudente car la nuit n'était pas encore tout à fait terminée et que le soleil ne passait que très peu entre les cimes des arbres. Ce que j'aurais aimé être doté d'une lampe torche pour m'aider à y voir plus clair. Satané hiver, il allait avoir ma peau à ce rythme.
     Je commençais à connaître l'endroit par cœur et mon passage régulier traçait lentement de petits sentiers à certains endroits du bois. Grâce à eux, je pouvais facilement me repérer aux alentours, même si je ne m'aventurais jamais très loin de peur de retomber sur le territoire des arachnides. Je craignais qu'avec l'hiver les proies viennent à leur manquer et que pour  pallier elles étendent leur territoire de chasse jusqu'au miens. Et si je restreignais trop mon champ d'action, j'allais probablement mourir de faim avant la fin de la saison. Quelle galère ! Dans ces moments là, je venais à regretter d'être partie de mes deux précédentes colonies. Je pensais aussi beaucoup à Allan, me demandant comment il aurait lui-même bravé l'hiver, et si il arrivait à tenir face à celui que nous traversions. Jamais il ne se passait une semaine sans que je pense à cet homme, me rappelant sans cesse tout les adages qu'il m'avait transmit. J'aurais probablement dû me montrer plus curieuse et poser davantage de questions lorsque nous faisions route ensemble. Enfin bref. A force de parler toute seule dans ma tête comme je le faisais souvent, j'allais probablement laisser s'échapper plusieurs proies. Il était temps de se concentrer.
     Là ! Une petite tête venait de disparaître derrière une souche pourrie, essayant de se précipiter vers un trou de souris pour se cacher. Je pris sa suite, bandant mon arc et visant au plus juste, tirant sans plus attendre. La flèche se planta dans le crâne de la bestiole, l'empalant au sol et la tuant sur le coup. Je me mis à courir vers sa direction, la ramassant pour l'enfiler dans ma besace. Et un repas pour aujourd'hui, un ! Ravie, je fis demi-tour dans le but de me rendre à la rivière et aller puiser de l'eau pour la rendre potable. Mais un petit claquement me fît me figer sur place, ma peau frissonnant d'une chair de poule alors que la peur me gagnait doucement. Je reconnaissais ce son que, oh, parmi tout les sons, j'avais bien enregistré. Le claquement retentit encore. Il se rapprochait. J'entendais les branches s'agiter au dessus de moi, la chose se rapprochant. Lentement, je levai les yeux vers la source du son pour tomber sur une image plus effroyable que jamais. La pire vision d'horreur de mes cauchemars. Là, parmi le feuillage sombre noyé dans la pénombre, des centaines de loupiotes dessinées en forme de cercles rouges étaient fixées sur moi. Les quatre centrales, les plus grosses, étaient braquées en ma direction et traduisaient l'appétit de la créature. L'araignée avait donc bel et bien étendu son champ de chasse, et j'étais désormais sa proie. Ma main tremblante s'empara de mon arc, ne faisant aucun mouvement brusque pour ne pas l'inciter à attaquer. Ce fût au tour d'une de mes flèches que je mis en joue, la pointe baissée vers le sol. Puis l'immense araignée perdit patience, ouvrant grand ses mandibules et poussant ce cri strident pour me paralyser de peur. Heureusement, mon instinct de survie m'empêcha de me retrouver clouer au sol, me faisant prendre mes jambes à mon cou. Mais la chose ne comptait pas se laisser semer, et contrairement à moi elle semblait voir dans le noir. Bon nombre de fois je me pris les pieds dans des racines ou des cailloux, menaçant de me faire tomber. Et la fois de trop arriva, une tige épaisse s'enroula autour de ma cheville et m'étala au sol, projetant mon arc hors de ma portée. Je n'eu pas du tout le temps de me relever, la créature arriva au dessus de moi et tendit son dard pour essayer de me piquer avec. Je fis une roulade sur le côté, puis une autre, évitant de me faire écraser par son gigantesque abdomen poilu qui retombait lourdement contre le sol en tendant son immense aiguille. Je me saisis de mon poignard, l'abattant violemment au dessus de moi pour tenter d'éventrer le monstre. Celui-ci recula en hurlant, me laissant l'opportunité de me dégager de son emprise. Je ne pouvais pas m'enfuir cette fois-ci, alors j'allais devoir combattre. Ma vie se jouait à cet instant, l'un d'entre nous allait devoir mourir ce matin. Je ne pouvais pas me permettre de laisser un tel danger roder sur mes plates bandes tout l'hiver et la seul façon d'éviter ce scénario était de m'en débarrasser une bonne fois pour toutes. Je m'armai donc de mon meilleur courage, fonçant en direction de la créature avec ma lame levée vers le ciel. Elle en fît de même, plus enragée que jamais. Et alors qu'elle s'apprêtait à me sauter dessus comme elle l'avait fait juste avant, je fis un écart pour lui passer de côté et lui couper une patte. Ce qu'elles étaient épaisses ! On aurait dit du bois, mais heureusement les cartilages étaient mous et c'étaient eux que je visais avec cette technique. Je refis cette prouesse par trois fois avant d'estimer que la bestiole était assez ralentie pour que j'ai le temps de récupérer mon arc. Je me précipitai pour me saisir de mon arme, me mettant en joue dès l'objet en ma possession. L'araignée arrivait sur moi, boitant de toutes ses blessures que je lui avais infligé plus tôt, mais assez lente pour que j'ai le temps de viser au mieux. Et bam ! La première flèche se ficha dans l'intersection d'une de ses pattes valides. Encore une bonne allez ! La seconde se planta dans le dessus de l'abdomen qu'elle faisait gonfler pour tenter de m'intimider. Une dernière et c'était bon ! Et bam ! La troisième se ficha dans sa tête, entre ses plus gros yeux, la faisant s'écraser au sol sans plus aucune vie pour l'animer. La créature était vaincue.
     Je retombai à genoux devant mon ennemi défait, posant les mains au sol en le fixant de mes grands yeux terrifiés. J'avais abattu ce monstre de mes propres mains. Je l'avais fais moi-même. Je m'étais élevé au dessus des pires créatures que cette terre avait porté. Je n'étais désormais plus la proie, j'étais le prédateur. Le soulagement fût tel que ma vision se brouilla de larmes, les observant retomber au sol à mesure qu'elles apparaissaient. Je n'étais pas sûre d'avoir un jour eu aussi peur. Du moins, la dernière fois remontait à loin maintenant. Si j'avais eu l'une de ces choses qui avait décimé ma famille devant moi aujourd'hui, j'en aurais fais des bouillons cubes pour alimenter mes repas. Je ne serais plus jamais faible. Ce temps était définitivement révolu.
     Je me repris rapidement, constatant que le jour s'était levé depuis mon combat avec l'araignée géante. Je pu observer de monstre de bien plus près, détaillant la créature de mes cauchemars comme je n'en avais pas encore eu l'occasion auparavant. Malgré mon dégoût évident envers elle, je devais vérifier si il y avait à manger sur sa carcasse. Fort heureusement pour moi, ça ne semblait pas être le cas. Rien de comestible là dedans à priori. Ou peut-être m'en étais-je persuadé pour ne pas avoir à toucher un seul morceau de ce monstre.
     Quel bonheur de revoir ma cabane ! Je n'avais qu'une seule envie en cet instant, m'écraser sur mon lit et attendre le lendemain. Il me restait pas mal de choses à faire mais une petite sieste était bien méritée pour moi à ce moment précis. Je poussai donc la porte d'un geste las, soupirant d'aise à la simple sensation de la différence de température entre dedans et dehors. Mais mon soulagement fût de courte durée car une présence surgit derrière moi avant qu'un coup ne soit porté à ma tête, me plongeant dans l'obscurité.

LA FAUCHEUSE ROUSSEOù les histoires vivent. Découvrez maintenant