L'échappée

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     Il ne fallait pas s'emballer trop vite. Avant de nous échapper de cette prison de briques qui fût anciennement notre chez-nous, nous devions réfléchir.

     - Tu peux marcher Christopher?

     Osa demander Joan qui tenait encore comme elle pouvait notre chef de colonie.

     - Je pense que oui.. Mais cette griffure me fait un mal de chien ! Je n'arrive pas à savoir si j'ai été entaillé profondément ou si il s'agît juste d'une blessure superficielle..
     - Laisse-moi te ramener au camp pour pouvoir l'examiner..
     - Je ne sais pas si c'est une bonne idée Joan.. Il y a peut-être d'autres de ces créatures qui s'y trouvent..
     - Christopher,ici ou ailleurs, nous ne sommes pas à l'abri de les voir débarquer. Retournons au campement, que je puisse te faire les premiers soins au moins.

     Joan venait de marquer un point. Nous n'étions à l'abri nulle pars de toutes façons, alors autant essayer de nous mettre dans les meilleures conditions pour le départ. C'est en agrippant la chemise de mon père que je me mis à les suivre vers les vestiges de notre cachette. Plus nous nous rapprochions et plus l'odeur de corps brûlé était forte. Une fumée épaisse avait envahi tout l'espace, s'échappant d'un amas de chair carbonisée qui avait trouvé son dernier repos sur la table où l'on avait pour habitude de partager nos repas. Du moins une partie d'elle car la chose était bien trop grande pour s'y étendre complètement. Avec prudence, mon père s'approcha, se munissant d'une barre métallique qu'il ramassa au sol sur son passage. Méfiant, il remua le corps brûlé de la bestiole et s'assura ainsi de sa mort. Aucune réaction de la part du concerné, ce qui provoqua un soupire de soulagement à chacun d'entre nous. Joan traîna Christopher du mieux qu'elle pu jusqu'à la couchette qu'il occupait habituellement puis l'y déposa avec soin. Mon père me fît signe de le suivre.

     - Viens Camille ne traînons pas. Essayons de rassembler les affaires les plus importantes pendant que Joan soigne Christopher.
     - Oui papa.

Je me mis dès lors au travail, partant récupérer chacun de nos sacs en toile et les rassemblant pour y organiser ce que nous prévoyions d'emmener.

     - Le plus important est d'emmener nos vivres ma puce. Surtout ne prend rien qui ne nous encombrerait inutilement.
     - Je crois qu'il va falloir faire le tri dans les armes de Joan papa. Elle en a beaucoup trop pour toutes les emmener !
     - Nous allons en prendre une chacun, et peut-être aussi nous munir d'un couteau.

     Je ne savais absolument pas quoi prendre comme arme. La carabine à air comprimé que j'avais tenté d'utiliser pour me défendre ne m'avait pas du tout été instinctive, de plus je n'avais jamais tiré de toute ma vie. Peut-être quelques fois avec un pistolet à bille mais mes compétences s'arrêtaient malheureusement ici. Alors que mon père chargeait nos restes de nourriture dans les sacs, je m'approchai de la couchette de Christopher pour essayer d'aller demander conseils.

     - Joan, papa dit qu'il faudra chacun prendre une arme avec nous pour le voyage. Et je n'ai aucune idée de quoi prendre.

     Joan, qui était entrain de bander la jambe de notre chef avec ce qu'elle avait pu trouver, leva ses yeux d'émeraude vers moi et sourit avec gentillesse.

     - Tu m'as l'air d'une battante. Mais je me vois mal t'armer d'un lance flammes ou quoi que ce soit de tout aussi dangereux. Que dirais-tu d'un lance pierres?
     - J'espère que c'est une blague..

     Joan se mit à rire accompagnée parle sourire amusé de Christopher qui servait de témoin à la scène.

     - Évidemment que c'est une blague que tu es bête.. Tu peux prendre une de mes carabines à air comprimé.
     - Tu veux dire les espèces d'installations bizarres avec des tubes et un déodorant? Mais je ne sais pas m'en servir Joan! Je n'ai pas réussi à l'utiliser quand je me suis faite attaquer tout à l'heure..
     - Ne panique pas, je t'apprendrai à l'utiliser. Maintenant files aider ton père pendant que je finis de m'occuper de ce grand blessé.
     - Bon, d'accord si tu le dis..

     Un peu bougonne, je retournai donner un coup de main à papa pour terminer de charger les sacs. Ils étaient tous pleins à craquer et probablement très lourds à porter. Je redoutais de devoir me charger de ne serais-ce qu'un seul d'entre eux. Les affaires terminées, nous attendions patiemment assis sur un banc avec mon père le temps que nos deux amis terminent ce qu'ils étaient entrain de faire. C'était une nouvelle occasion de pouvoir parler ensemble mais encore une fois la discussion était difficile. Mon père évitait mon regard et semblait se ronger tout seul. Ma petite main se posa sur la sienne, ce qui attira ses yeux sur moi.

     -Papa t'y étais pour rien tout à l'heure..

     Mon père se contenta de sourire, semblant touché que j'essaye de le rassurer. C'était donc bel et bien ça qui lui prenait la tête.

     - Je serai sûrement à nouveau en danger. Et toi aussi. Comme Joel et Christopher. C'est comme ça, on n'y peut rien. Mais si tu déprimes à chaque fois que tu te dis que tu aurais pu faire différemment, ça ne fera qu'empirer les choses.
     - Oui tu as bien raison ma puce. Excuse-moi..

     Il me prit tendrement dans ses immenses bras en me faisant presque disparaître sous son étreinte. Je me blottis donc contre lui, soupirant d'aise. Ce qu'il pouvait être rassurant mon papa. Mon regard se leva vers Joan et Christopher qui s'approchèrent de nous, les soins enfin terminés.

     -Bon, je crois que cette fois ça y est.

     Lança notre chef d'un ton résolu. Il était clair qu'il n'était pas du tout partant pour sortir chercher un nouvel abri.

     - Que chacun prenne un sac. Dites au revoir à cet endroit, nous partons trouver un nouveau toit mes amis. Marc, tu fermeras la marche et tu garderas Camille avec toi. Joan, tu seras en tête. Tu es celle en qui j'ai le plus confiance pour nous guider..

     A présent que les positions étaient données, il était enfin temps de partir. A nouveau,je saisis la main de mon père en me rapprochant au plus près de lui,nerveuse. Je m'apprêtais à faire la première sortie de notre territoire depuis mon arrivée ici. Quelle angoisse.. Les bruits de nos pas raisonnaient entre les murs du couloir vide. Il n'était passage de sortir par l'ouverture principale et nous avions donc décidé de passer par les voies pour changer de station. Les tunnels étaient sombres et les graviers crissaient sous nos pieds, ce qui n'aidait pas à rassurer le groupe déjà bien peureux. Nous progressions lentement dans l'ordre qu'avait plus tôt indiqué Christopher et étant attentifs au moindre bruit parasite qui aurait pu s'ajouter au notre. Le danger était prêt à surgir partout autour de nous et nous avions le désavantage conséquent du terrain, les murs du tunnel nous maintenant prisonniers et rendant ainsi la fuite presque impossible. Il fallait prier pour que tout se passe comme prévu.
     Ce qu'il était long ce tunnel. Lorsqu'on le parcourait à bord d'un des wagons du métro, il était difficile de se rendre compte des réelles distances qui séparaient les stations. Un trajet de quelques minutes ou dizaines de minutes devenait un périple de plusieurs heures une fois ce même passage emprunté à pieds. Mes jambes étaient fragiles, bien plus que celles des adultes. Je commençais à peiner sous le poids insupportable de mon sac combiné à l'abrupte sensation du gravier entre les rails. Mes pieds glissaient, s'enfonçaient, tenir une marche convenable sur ce terrain était du domaine de l'irréalisable pour une petite fille comme moi. Pour éviter les chutes je décidai de m'agripper au bras charnu de mon père en me retenant sur lui à la moindre glissade. Il avait compris de lui-même que ma capacité de déplacement était quelque peu altéré et me rattrapait d'une main dans le dos à chaque maladresse, ne pouvant malheureusement pas me donner beaucoup plus d'aide. Il était chargé comme une mule et il était donc évidemment impossible pour lui de me prendre sur son dos. Je n'aurais fais que l'handicaper davantage. Il fallait donc cette fois que je me débrouille par moi-même. Alors que mes parents avaient toujours tout fait pour moi, pourrie gâtée que j'étais, je me retrouvais pour la première fois complètement autonome. Un sentiment de culpabilité me prit lorsque mon regard se posa sur ce pauvre Christopher. Il n'émettait aucune plainte, mais son expression peinée laissait clairement transparaître la douleur qui lancinait dans sa jambe. Il boitait comme un chien galeux mais s'était pourtant chargé d'autant d'affaires que nous autres. Ce que les adultes pouvaient faire preuve de volonté parfois. Et moi qui me plaignais à tue-tête d'avoir mal aux pieds tout en priant pour pouvoir faire une pause au plus vite. Mais il n'en fût rien, la marche continuait encore et encore et encore... J'avais l'impression que nous finirions au bout du monde une fois arrivé. Je n'avais aucune idée du temps que nous avions prit pour arriver jusqu'ici ni du temps qu'il resterait pour trouver le bout du chemin. Des milliers de questions affluèrent d'un coup dans ma tête, martelant mon esprit pour essayer de chasser l'ennui et la fatigue qui commençaient à me submerger. Elles avaient au moins l'avantage de me faire oublier ma somnolence et cette insupportable douleur dans les jambes et mon dos. Je finis par être si distraite que la semelle de ma chaussure se prit dans une des lattes de bois qui composaient les rails et trébuchai de tout mon long sur la voie.

     - Aïe!

     M'exclamai-je d'une voix plaintive qui produisit un écho raisonnant jusqu'aux extrémités du tunnel. Mon père s'arrêta à mon niveau mais ne m'aida pas à me remettre debout. Il était si fatigué que la charge sur son sac allait probablement l'empêcher de se redresser si il s'abaissait pour me porter son secours.

     -Fais un peu attention où tu mets les pieds Camille..

     Il reprit sa marche alors que je tentai de me redresser sur mes pieds. D'un petit bond sec je replaçai mes affaires sur mon dos avant de le suivre comme un petit caneton. Une envie idiote de pleurer était née dans ma gorge qui s'était serré en voyant mon papa s'éloigner de moi et m'abandonner seule au sol. Je n'arrivais pas tout à fait à en définir la vraie cause, me doutant que cette misérable maladresse n'était qu'une excuse pour moi de craquer. Je frottai mon nez en reniflant et reprit la suite des plus grands pour ne pas créer un écart. Pas question de chouiner maintenant et de prouver une nouvelle fois ma faiblesse aux adultes. C'est même au trot que je repartis cette fois, doublant tout le monde pour passer à la tête. J'en avais assez de ce couloir sans fin et plus vite nous avancions,plus vite nous atteindrions le bout.

     - Camille reste ici!

     Mon père essaya de me rattraper, brisant la formation que nous nous étions forcé à tenir jusqu'ici. Il se lança à ma poursuite de crainte de ne me perdre de vue, traînant derrière lui nos deux compères qui essayaient d'amoindrir l'écart entre nous tous.

     - Mais qu'est-ce que tu fais ! Tu vas tous nous mettre en danger et toi en premier !

     Paniqué, mon père criait après moi pour tenter de me faire m'arrêter. Mais une lueur attira mon regard et au contraire mon pas ne fît que s'accélérer pour m'y rendre au plus vite. La sortie se trouvait là, juste devant nous ! Sortant enfin par la bouche de métro, j'aperçus le quais'étendant hors des voies. Je me stoppai donc en reprenant ma respiration, un sourire incontrôlable déformant mon visage. Je fus rattrapée de peu par mon père et les deux autres qui crachaient leurs poumons d'avoir dû sprinter sur les deux-cent derniers mètres pour me suivre. Papa fît les gros yeux et prit sa voix de colère pour me crier dessus.

     - Mais tu es folle ! Ça va pas qu'est-ce qui te prend !?
     - Regardes papa on l'a fait c'est la sortie !

     Mon bonheur était imperturbable même sous ses cris agacés de mon père. Mon doigt pointa la bordure du quai alors que mon sourire ne faisait que s'agrandir. Un soupire de soulagement sonna dans toutes les bouches, me confirmant que je n'avais pas été la seule à trouver ce chemin interminable. Joan aida Christopher à grimper sur le rebord et papa en fît de même pour moi. Une fois tout le monde remonté, nous n'avions plus qu'à sortir d'ici. Enfin! L'envie me prit de courir à nouveau, mais un vertige me ramena à la raison. J'étais fatiguée et affamée. Finalement c'est avec prudence que la troupe se décida à s'approcher de l'escalier menant vers l'extérieur. Chaque marche me faisait davantage monter l'excitation. Une lumière orangée de coucher de soleil remplaça la couleur froide et terne des murs du métro éclairé aux néons grésillants. Une légère chaleur réchauffa ma peau. Une chaleur que je n'avais pas ressentie depuis me semblait-il des siècles. Les rayons du soleil ne pouvaient pas descendre jusqu'au fin fond des stations alors ce fût une redécouverte pour moi. Je passai une nouvelle fois devant tout le monde pour être la première à apprécier le décor qui nous entourait et pris une grande bouffée d'air frais, ce qui me provoqua un nouveau vertige qui me fît basculer en arrière. Mes fesses cognèrent sur le sol dans une chute encore plus ridicule que la précédente alors que ma colonie entoura mes côtés. Mon papa s'agenouilla près de moi, venant poser avec bienveillance sa main dans mon dos.

     - Tu devrais économiser ton énergie ma puce.

     J'hochai la tête en sa direction pour lui répondre, puis une fois à nouveau debout, je pris l'initiative de m'avancer de quelques pas pour examiner plus en détail notre environnement. La ville dans laquelle nous étions remonté était celle voisine à la notre. Baignée dans la lumière chaleureuse du soleil, elle me paraissait beaucoup plus rassurante que notre refuge sous terre bien qu'elle fût probablement bien plus dangereuse. Tout les habitants du quartier semblaient être partis à la hâte. Les voitures étaient abandonnées au milieu de la route, les portes des maisons étaient ouvertes, des effondrements avaient eu lieu par-ci par-là. Les cachettes étaient si variées qu'il ne fallait quitter aucun détail du regard pour être sûrs d'être seuls. En revanche il ne fallait pas oublier que ce serait autant un avantage comme un inconvénient car si une cachette existait pour un monstre elle existait tout autant pour un humain, ce qui nous permettrait de progresser à couvert.
     Il ne fallait pas perdre de temps. Nous avions déjà trop traîné à la sortie de la station et il était temps de reprendre notre route. Il ne restait que peu de temps avant que le soleil ne disparaisse totalement et nous avions désespérément besoin d'un lieu pour passer la nuit. C'est avec prudence que le groupe reprit sa progression. Nous essayions de coller les voitures et de marcher le moins possible en pleine vue. Il était difficile d'être rapides avec cette démarche mais elle était nécessaire pour éviter de se faire repérer visuellement. Alors que je suivais mon père en fin de queue, mon regard se posa la porte entre-ouverte d'une maison à mon niveau. J'avais cru apercevoir quelque chose mais je n'en étais pas sûre car mon cerveau commençait sérieusement à me jouer des tours. Mais mon impression se confirma lorsqu'une silhouette humaine passa au niveau de mon regard. C'était probablement un survivant ! Si il y avait quelqu'un en vie dans cette ville, il fallait absolument lui proposer notre aide et pourquoi pas de se rallier à notre colonie. Mon pas dévia de celui des autres qui ne remarquèrent pas mon absence soudaine et je me dirigeai inconsciemment vers l'endroit concerné par mon attention. Je posai les mains sur le bois abîmé de la porte, la poussant dans un grincement léger pour pouvoir entrer. Je devais être prudente car si cette personne survivait seule ici depuis plusieurs semaines elle devait être très attentive au moindre bruit, prête à frapper tout ce qui osait pénétrer dans son habitat. Passant le couloir d'entrée, c'est dans la cuisine que je pénétrai à présent. Une odeur nauséabonde se glissa dans mes narines, ce qui me provoqua un réflexe nauséeux violent. Un tiraillement étrangla ma gorge et ma main vint couvrir ma bouche de peur qu'il n'en sorte la bile de mon estomac vide. Sur la table, une assiette unique et encore pleine dans laquelle avaient élus colonie des dizaines de larves. Le plat grouillant était pour le moment la seule chose vivante dont j'avais croisé le chemin. Mon gosier se tordit à nouveau, me faisant perdre l'équilibre. Je me rattrapai sur le rebord du plan de travail, bousculant le frigo dans un bruit raisonnant de verre s'entrechoquant, ce qui devait probablement provenir de bouteilles de lait à l'intérieur. Vu l'état de l'assiette, il était hors de question que je jette le moindre coup d'œil dans ce frigidaire. Je frottai mon visage que je sentais devenir moite et repris mon exploration. 

LA FAUCHEUSE ROUSSEOù les histoires vivent. Découvrez maintenant