~1~

1.1K 111 72
                                    

Arrivé à proximité de la maison, j'hésite. Ai-je fait le bon choix ? Et si mon oncle me refusait l'hospitalité ? Après tout, cela fait plus de trois ans que je n'ai pas donné signe de vie à qui que ce soit de la famille. Je prends cinq minutes supplémentaires, me donnant encore l'option du demi-tour. Le doigt appuyé sur la sonnette ne déclenche aucune réaction, puis la fenêtre s'ouvre, et la tête de Stéphane, mon oncle, apparaît.

- Elle marche plus depuis un moment, la sonnette, grommelle -t-il. Je peux vous renseigner ?

Son regard se pose sur le mien. Va-t-il me reconnaître ? La barbe qui me mange une partie du visage ne va pas lui faciliter la tâche. Mes yeux, en revenche, devraient lui donner un indice. Ils sont presque identiques aux siens et à ceux de son frère, Antoine. Je ne réponds pas à sa question, et contrairement aux habitudes qu'il avait autrefois, il ne s'énerve pas.

- Brice ?

Inutile de dire quoique ce soit, il a déjà quitté la fenêtre et la porte s'ouvre brusquement. Je vais très vite être fixé sur sa réaction. Une grosse main s'abat sur mon épaule et me rapproche d'un seul mouvement vers lui. Je ne sais pas si mon souffle momentanément coupé est dû au soulagement ou à la force de l'étreinte que je subis. Nous restons un petit moment dans cette position. Mon oncle renifle dans mon cou. Il pleure ?

- Tu ne vas pas me refuser de t'offrir un café, hein ? propose-t-il, sa main a enfermé la mienne comme s'il redoutait que je m'échappe.

La gorge serrée, je préfère me taire de peur que ma voix grimpe dans les aiguës. C'est souvent le cas lorsque je suis très ému. Lorsque j'ai pris la décision de revenir, je n'avais pas un instant envisagé ce tsunami d'émotions.
Entrer dans la maison n'arrange pas du tout la situation. Le choc est total, rien n'a changé ! J'y suis si souvent venu en vacances.

- Assieds-toi. Que veux-tu boire ? Un café ?

- Juste un verre d'eau, s'il te plait.

Il ouvre le placard, attrape verre, tasse et cafetière encore fumante sur la table. Ses gestes sont rapides, bruyants. Je ressens chez lui une certaine fébrilité. Le moment que je redoute arrive. Les questions vont pleuvoir, je le sais. Je crois que j'y suis prêt.
Je ne suis pas dans cette maison par hasard, mon oncle m'a souvent accueilli chez lui lorsque les disputes devenaient trop fréquentes à la maison.

- Nous avons tous cru que tu étais mort, tu sais, déclare-t-il. Tu aurais pu juste laisser un message ici ou chez toi. Juste pour nous tranquilliser. Ton père ...

- J'ai régulièrement pris des renseignements, le coupé-je. Sur lui, sur toi. Je ne pouvais pas rentrer.

- Cela ne me suffit pas, Brice. Tu sembles épuisé. Bois un coup, mange un morceau, dors et tu me raconteras après.

Je pourrais accepter sa proposition mais cela ne sert à rien de reculer, les mots veulent sortir.

- Il exigeait que je change définitivement, commencé-je. Impossible de communiquer, tu sais bien comment il était ! J'avais beau lui expliquer, il n'y voyait qu'une sorte de caprice de gamin. Niant tout ce que je suis. Il n'y a même pas eu de cris cette fois. J'ai juste fait mon sac, vidé le peu que j'avais de côté à la banque et je suis parti.

- Tu aurais pu venir ici, je lui aurais parlé, objecte mon oncle.

- A cette tête de mule ? Tu le crois vraiment ? me rebiqué-je.

- Il s'en voulait, tu sais. Il aurait tant voulu t'expliquer qu'il avait compris, chuchote mon oncle me serrant contre lui.

-J'aurais été toute ouïe ! A-t-il souffert ?

-Non, cela a été très rapide. Quand l'as-tu appris ?

- En arrivant en France, il y a deux mois.

- Tu étais où ?

-En Angleterre au début puis après j'ai pas mal bougé au fil des boulots.

-Et là, tu restes ?

-Je ne savais pas comment tu allais me recevoir...

-Tu pensais que je pouvais t' envoyer paître ?

-Je me suis posé la question, oui. Seul papa était au courant. Je me doute qu'il n'a pas dû le crier sur les toits. Bien trop honteux de ce que son fils était !

- Cela ne répond pas à la question. As-tu l'intention de rester ?

- Oui. Est-ce que je peux aller me reposer, je n'avais pas d'endroit où dormir la nuit dernière, je me suis contenté d'une vieille cahute en bord de route.

- Il t'aurait suffit d'appeler, p'tit couillon ! Ça n'a pas changé, la chambre est quasi à l'identique. Tu me trouveras ici où au jardin. Tu sauras le retrouver ?

A l'instant où je franchis le seuil, je fais un saut dans le passé, mon passé. Cette chambre a été témoin de mes stupides terreurs d'enfants que je tentais de taire aux adultes. Plus tard, son éloignement de la chambre de mon oncle m'autorisait sans risques mes premières masturbations. En parler avec mon père me semblait impossible. Ses propos ne laissaient aucun doute sur son opinion concernant les homosexuels. Pour lui, ils étaient la lie de notre société. Comment risquer de me dévoiler en évoquant ces sujets ! La force d'en parler m'est venue plus tard, provoquant parfois des cris, des insultes très souvent. Le dernier affrontement, celui qui m'a décidé à partir, a été violent. J'avais évoqué l'existence d'un copain sans même le nommer et mentionné l'envie de le rejoindre pour quelques jours de vacances. Les hurlements de mon père s'y opposant formellement comme s'il pouvait m'y obliger avait mis fin à mon obéissance relative. Le lendemain, j'avais retiré tout ce que j'avais sur mon livret dans l'optique d'un permis et à l'aube sans un mot, j'étais parti.



À la coque ( le goût de la vie) Où les histoires vivent. Découvrez maintenant