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(Brice)

Le regard noir de mon oncle est signe de remontrances à venir. Dès que le bruit du moteur de la voiture de Corentin décroît, il prend la parole.

- Tu comptes jouer ainsi longtemps ?

Je pourrais nier, ou tout simplement ne pas répondre mais Stéphane n'est pas du genre à abandonner si vite. Malgré la discussion avec Armand, je n'ai pas encore réussi à franchir cette dernière étape. Corentin passe une grande partie de son temps sur l'exploitation. Je rigole à chaque fois qu'il s'approche du poulailler comme si les poules étaient des prédateurs. Je le soupçonne de forcer un peu sur sa trouille pour que je le félicite en le prenant dans mes bras. Il trouve toujours un moyen pour me frôler, glisser une main dans mon dos. Je ne le repousse pas, surtout pas. J'apprécie chacune de ses attentions envers moi mais je ne suis jamais celui qui lui en fait. Il y a cinq minutes lorsque j'ai trouvé une nouvelle excuse pour ne pas passer la soirée avec lui, j'ai vu que je le blessais.

- Tu as besoin de la voiture demain ?

- Oui, mais je peux te servir de chauffeur.

- Tu me donnes le temps de prendre une douche ?

- Hum... Si c'est encore un moyen d'esquiver, je me sens capable de prendre le risque de te sortir de la salle d'eau de gré ou de force !

- Ce ne sera pas la peine, le rassuré-je.

Une demi-heure plus tard, je ferme la portière de la camionnette de mon oncle. Seul sur le trottoir, j'attends quelques secondes le temps de tenter de contrôler les battements désordonnés de mon cœur. Monter les marches ne me prend pas beaucoup de temps, me décider à frapper à la porte est un peu plus compliqué. Mes deux coups me semblent être ceux d'un jeune enfant tant ils sont faibles. Je renouvelle plus fermement cette fois. Je ne distingue aucun bruit derrière la porte. Et s'il n'était pas là ? Le bruit de la chaine de sécurité et la porte qui s'entrouvre me surprend, le regard surpris et l'ouverture quasi instantanée encore plus.

- Brice ? Que se passe-t-il ? s'inquiète-t-il immédiatement.

Il reste immobile, attendant que je lui explique la raison de ma présence.

- Je te dois des explications. Tu peux me laisser entrer ?

- Bien entendu, dit-il en me cédant la place. Je vais juste fermer à clef derrière toi pour éviter que tu puisses fuir.

Son ton est moqueur mais je m'attends malgré tout à ce qu'il le fasse.

- Veux-tu un café ? propose-t-il et sa question me renvoie au jour de ma fuite.

- Je veux bien, oui. A condition que tu t'installes avec moi.

- Je suis de plus en plus inquiet, mais je sens que c'est important. Je reviens dans deux minutes, précise t-il en sortant de la pièce.

Mes jambes sont prises de tremblements comme souvent ces derniers jours. Je me lève et passe la porte par laquelle Corentin vient de sortir. Un petit couloir avec trois portes dont une est entrouverte. Face à un plan de travail, Corentin prépare les tasses de café. Je ne sais pas s'il a entendu la porte mais je n'ai pas le temps de faire deux pas qu'il se tourne face à moi. L'expression de mon visage lui suffit a priori puisqu'en deux petites enjambées, il est quasi collé à moi.

- Tu avais peur de ne pas résister ou tu es en manque de caféine, ironise-t'il.

- Un peu des deux...

Ses deux mains viennent se poser sur mes hanches et il m'attire contre son torse. Ma tête trouve immédiatement sa place, nichée dans son cou. Aucun mot échangé, juste ce geste de réconfort. Je me sens rassuré dans ses bras, prêt à lui expliquer ce qui m'angoisse. Il me semble que de ne pas sentir son regard sur moi me faciliterait la tâche.

- En aucun cas, je veux te blesser et pourtant j'ai conscience de le faire. Même Stéphane s'en est rendu compte.

- C'est lui qui t'a poussé à venir ?

- Pousser n'est pas le bon terme. Armand a réussi à libérer mes mots, Stéphane m'a aidé à franchir la dernière étape.

- C'est moi, la dernière étape ? demande-t-il en se détachant de moi.

- En quelque sorte. Est-ce que cela te pose un problème si nous restons dans cette position ? Cela sera plus facile si je ne croise pas ton regard.

- Si c'est important pour toi, et cela semble être le cas, faisons ainsi.

- Merci. Tu as peut-être eu l'impression que je t'éloignais de moi en refusant souvent de te suivre ici.

- C'est possible, oui.

- Je...j'ai très peu d'expérience.

- Et ? Crois-tu que je pourrais te le reprocher ? Tu penses que je suis du genre à enchaîner les partenaires ?

- Je n'en sais strictement rien.

Corentin se détache un peu de moi. Sa main droite caresse tendrement ma tête, y dépose un baiser.

- Allons nous asseoir. J'ai besoin de te sentir contre moi, chuchote -t-il. Je ne te regarderai pas, promis.

Sa voix est douce, apaisante. Ma main dans la sienne, il m'entraîne dans la pièce de vie où nous nous asseyons sur le canapé. Corentin pose son bras autour de ma taille. Ma tête retrouve sans difficultés le chemin de son torse. Ma main gauche joue avec son tee-shirt.

- En dehors de Clovis et ton frère, je n'ai eu aucune relation. Ils étaient si différents ! Clovis se contentait de m'embrasser, parfois de me caresser. Ce n'était pas le cas de ton frère. Lui, enchaînait les rencontres.

- Ce n'est pas comparable. Je pense que, lui, ne les ressentait qu'en temps que clients. Avec toi, il était comment ?

- Il a été ma première fois, mon ignorance le faisait rire. Lorsqu'il travaillait avec Jimmy, je l'ai vu plusieurs fois avec des clients potentiels. J'ai eu l'impression qu'il y prenait du plaisir. Avec moi, il se contentait de prendre. Comme s'il me devait cet acte. Enfin, c'est ce que je ressentais.

- C'était différent. Tu n'étais justement pas un client. Il n'avait pas à te satisfaire, tu comprends ?

- C'est à peu près ce que m'a dit Armand et je pense que c'est vrai. De toute façon, cela n'est pas souvent arrivé.

- Je ne comprends pas où tu veux en venir, Brice. Tu m'as parlé de mots libérés, tout à l'heure. Je ne les entends pas, moi, ces mots.

- Je...J'ai peur de ne pas savoir comment faire, murmuré-je.

- Et que je pourrais t'en vouloir pour cela ? complète-t-il en me redressant la tête pour que je le regarde. Est-ce que je t'ai donné l'impression de ne pas aimer chacun de tes baisers ? Je m'en fous que tu ne sois pas expérimenté. J'aime nos journées, nos échanges, nos éclats de rire. Nous apprendrons le reste à notre rythme à nous. Je ne suis pas Éric. Je te promets de te donner autant que toi, tu me donneras.











À la coque ( le goût de la vie) Où les histoires vivent. Découvrez maintenant