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( Brice)

La chaleur de sa main, la douceur de son regard me permettent de réaliser l'instant présent. Sans me lâcher, il passe en position debout. D'une traction légère mais affirmée, il m’attire vers lui. Ma seule envie est de rester blotti. Juste me serrer contre lui, sans parler. Et a priori Corentin a la même envie. Nous avons presque la même taille, ses bras m’enveloppent parfaitement. Le battement régulier de son cœur me berce. 

— Tu vas retourner chez Stéphane ? chuchote-t-il.

— Je pense, oui.  Même si je n'en ai pas vraiment discuté avec lui. 

— Tu me fuyais, j’ai bien compris mais Stéphane et Vivian, tu comptais les abandonner, eux aussi ?

— Lorsque j’ai reconnu Éric, sur cette photo à côté de toi, j’ai perdu le contrôle. Mon mensonge est la seule chose qui me soit venue à l’esprit. Il me semblait impossible de continuer la soirée comme si de rien était, après cela.  Au fond de moi, je ne fuyais pas vraiment, j’avais besoin de l’aide d’Armand. Pour m’aider à mettre des mots sur mon ressenti.

— Il compte beaucoup pour toi.

— Sans lui, je ne pense pas que j'aurais survécu à la mort de ton frère.  Savoir Eric à l’hôpital impliquait, dans mon esprit, qu'il était sauvé. Ton frère se moquait de moi, me traitait d’adorable rêveur.  Ce jour-là, je suis tombé de mon nuage. Brusquement. Il a été mon seul compagnon, tu sais, sans jamais vraiment l'être. Armand a entendu  toutes mes confidences... 

— Je te le dis une fois de plus. Je n’ai aucun reproche à te faire. Même si tu avais agi différemment, je suis persuadé qu’Éric aurait pris le même chemin. A ma connaissance, il n’a jamais évoqué son orientation sexuelle avec mes parents, et je ne m’y suis jamais aventuré non plus.Tu te reproches constamment ta fuite. Ne vois-tu pas à quel point, tu as été courageux ?

— Et cela m’a donné quoi ? Tu sais, je crois que sans la rencontre avec Éric, le mec courageux serait rentré au bercail. 

— Tu ne sais rien de tout cela, Brice. Tu as un vrai projet à construire, une maison à restaurer. Stéphane ne te laissera pas tomber.

— Et toi, tu comptes rester dans le secteur ? 

— Tu te rappelles, j’ai un travail ici. Et un projet aussi que j’aimerai voir aboutir. Je ne suis pas pressé, Brice. J’ai envie de continuer à faire connaissance avec toi, avec tous tes "toi". Je suis et resterai le frère d'Éric, je ne pense pas que ce soit un handicap.  

— Je ne le pense pas non plus. Allons retrouver Armand et Stéphane, dis-je en me dirigeant vers la porte.

Nous les trouvons assis et le sourire de mon oncle finit de me rassurer sur l’avenir. Son bras se tend vers moi et, en l’espace d'une seconde, il me serre contre lui. 

— Nous allions justement vous rejoindre, précise Armand. Je ne pense pas que tu t’opposes à rester chez ton oncle. Je vais prendre une chambre d’hôtel pendant quelques jours. Je passerai à l’exploitation pour examiner ton projet. 

— Mon projet n’en est qu’au stade d'ébauche, tu sais.

— Je me doute bien. Mon boulot est de t’accompagner. Je n’ai aucune compétence dans ce domaine mais le Centre a une très longue liste de professionnels qui aident au reclassement de nos patients. En dehors du projet, je reste toujours joignable, Brice. Au même numéro.

(Stephane) 

Le voyage de retour vers l’exploitation est plutôt silencieux. Corentin est derrière moi, Brice à la place passager. Aucun des deux ne me demande de passer chez Corentin et je me dispense bien de poser la question. Un rapide coup d’oeil dans le rétro me permet d'apercevoir l’instituteur qui n’a pas du tout l’air perturbé. En ont-ils parlé tout à l’heure ? Ma curiosité devra attendre un peu avant d’être satisfaite. La main de Brice, posée sur sa cuisse, ne tremble pas. 

À la coque ( le goût de la vie) Où les histoires vivent. Découvrez maintenant