~27~

369 77 55
                                    

(Stephane)

Le silence dans la maison m’impressionne. Je me suis vite habitué depuis le retour de Brice à entendre de la musique. Là, aucun signe de vie. Mon envie de marcher jusqu'à la maison est assez forte mais je me contiens. C’est un adulte. Il est parti avec Corentin en ville. Ce sont deux jeunes hommes, ils ont pu décider de manger un truc, peut-être même d’aller voir un film. 

Pourtant, je n’ai pas envie de m’enfermer dans ma chambre. Il n’est pas très tard, j’attrape le journal et mes lunettes et m’installe dehors,  à la table.

Bien entendu que j’espère que le petit débarque bientôt, qu'il me raconte un peu sa journée. Avec le départ de Vivian, j’avais difficilement fait le deuil de ce genre d'instants.  Je réalise à quel point, j’y ai vite repris goût. 

A vingt-trois heures, alors que je sens que la fatigue tombe, je prends la direction de ma chambre. 

(Brice)

Armand est sur la route, il lui faut trois bonnes heures. Je n’ai pas réussi à expliquer quoi que ce soit et il n’a pas insisté. Ce numéro sert aux urgences. Il m’a juste posé quelques brèves questions pour me trouver au plus vite. Il a suggéré que je reste dans la voiture. J'ai refusé sans pouvoir expliquer que celle-ci est celle du frère d’Éric. Je me suis faufilé jusqu'à l’immeuble, j’ai glissé ses clefs dans la boîte aux lettres ainsi que le lieu où j'ai laissé la voiture. C’est la seule chose que je peux faire. 

(Corentin) 

Ma nuit a été agitée. Le départ, brusque, de Brice m’a surpris. Stéphane compte beaucoup pour lui, et j’ai compris qu'un appel à l’aide de sa part est prioritaire. Pourtant, l’annonce m’a semblé sèche. En totale contradiction avec la journée passée. Cela faisait si longtemps que je ne m’étais pas senti aussi bien. Libre de discuter, de rire sans cacher qui je suis. Inviter Brice à monter à l’appartement n’était qu'un moyen de prolonger cette journée. A-t-il été mal à l’aise ? Ai-je dépassé un stade trop rapidement ? Toutes ces pensées ont tourné dans mon esprit une partie de la nuit. Pour éviter de gamberger plus, je décide d'aller marcher. Depuis que je suis arrivé ici, j’ai découvert ce plaisir simple d’avancer plus ou moins à l’aventure. Cela me permet, en plus de la pratique d'une activité physique, de me vider la tête. 

J’ai déambulé une bonne heure et en rentrant, je bifurque afin de m’arrêter à la petite boulangerie que j’ai repérée. Et juste devant, bien stationnée, ma voiture. Que fait-elle ici ? Pris d'un doute, je regarde à travers la vitre. Il s’agit bien de ma voiture. J’aperçois même sur le sol le sac de vêtements que Brice a acheté. Un drôle de pincement dans la poitrine, j’ai besoin de vérifier un truc. Je récupère mon portable, n’hésite qu'un tout petit instant avant d’appuyer sur le tout dernier contact entré. Les sonneries résonnent mais il ne décroche pas. Ok. Cela n’arrange pas mon état de stress. La partie posée de mon esprit me dit qu'il y a dû avoir un changement de programme au dernier moment. Que je vais sûrement bien rire quand Stéphane et Brice me raconteront cela. L’autre partie, celle qui échafaude toujours des scénarios dignes de polars, me presse à rentrer à l’appartement, récupérer mon double de clef et foncer au plus vite vers l’exploitation. Alors que j’entre dans l’immeuble, mon portable sonne.

— Bonjour Corentin. Excuse-moi de te déranger à cette heure matinale mais je n’arrive pas à joindre Brice, demande Stéphane d'une voix visiblement inquiète. 

— Il ne répond pas non plus aux miens. Il ne vous a rien dit hier soir ? 

—Hier soir ? Lorsque j’ai été me coucher vers 23 heures, il n’était pas encore rentré et ce matin, il n’était nulle part. 

Les paroles de Stéphane confirment mon ressenti depuis hier soir. 

— Juste une question, Stéphane. L’avez-vous appelé un peu avant 17 heures car vous aviez besoin de son aide, demandé-je espérant sans y croire une réponse positive. 

— Bien sûr que non. Après le drive, je me suis arrêté chez le maire pour discuter de choses et d’autres. Que s’est-il passé, Corentin ?

— Je ne sais pas. Rien ne m’a semblé être problématique. Nous avons discuté, rigolé toute la journée.  Il voulait faire des démarches pour son projet sans vous déranger. Je lui ai proposé d’emprunter ma voiture, je n’en ai besoin que Jeudi pour un rendez-vous. Il veut être certain des chances de son projet avant d’envisager l’achat d'une voiture...

— Quel idiot celui-là ! Je comprends que mon utilitaire ne soit pas très pratique mais s'il n’en parle pas, je ne peux pas l’aider, ronchonne-t-il.

— Ce n’est pas le problème, je vous assure. Il était d’accord, il m’a raccompagné pour pouvoir disposer de la voiture le lendemain. Je lui ai proposé un café. Je l’ai laissé dans la pièce de vie le temps de déposer mes achats dans la chambre…

— Corentin. Est-ce que cela te dérange que je passe chez toi. D'ici une petite demi-heure. J’appelle Vivian, il a peut- être eu des nouvelles, on ne sait jamais. 

Et il raccroche. Sait-il au moins où j’habite? J’ai la nette sensation que j’ai raté un épisode. Où est Brice ? Qu’est-ce qui a provoqué ce qui ressemble à s'y méprendre à une fuite ? Et qu'est-ce qui décide Stéphane à débarquer chez moi. Pense-t-il que je suis responsable de cela ? 

(Armand)

Ce n’est pas la première fois que je réponds à un appel d’urgence. Toute mon équipe sait à quel point notre réactivité doit être forte. A l’autre bout du fil, l’effort est considérable. Il prouve qu'il y a une attente. Forte, immédiate.

Brice n’est pas rentré dans les détails, aucun n’a jamais la force de le faire. Nous franchirons cette étape après, en face à face. Là,  il se situe juste dans cet équilibre plus que précaire qui peut, à tout moment, lui faire franchir le pas. 

Brice est un des derniers partis. Un des plus fragiles aussi. Au cours du premier mois après leur départ, nous tentons de garder un contact téléphonique régulier. Brice a joué le jeu. Je pensais avoir été vigilant, je le sais très adroit pour cacher ses failures. 

À la coque ( le goût de la vie) Où les histoires vivent. Découvrez maintenant