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(Corentin)

Je reste bouche bée. Je ne m’attendais pas du tout à cette réaction. A voir les sourires sur les visages de Stéphane et de Brice, mon silence ne les vexe pas le moins du monde.

— Tu aurais pu tomber plus mal, plaisante le plus jeune. Stéphane est un très bon cuisinier. Et puis cela soulagera mes oreilles !

Leur éclat de rire commun me plait. Stéphane menace son neveu d'une claque la main en l'air, ses yeux pétillants de malice rendant peu crédible celle-ci. Depuis mon arrivée dans la commune, je n’ai eu que peu de contacts. Le hasard m’a fait croiser ces deux hommes trois fois. Un bon repas avec des rires, cela ne se refuse pas.

— Et bien, je ne décline pas l’invitation.

Cela fait cinq minutes que j'ai sonné et aucune réaction. A l'origine, Stéphane m'avait parlé de venir vers midi mais hier celui-ci m'a appelé pour savoir s'il m'était possible de venir vers onze heures... et pourtant il ne répond pas. Je ne vais pas rester comme un idiot devant cette porte aussi je décide de marcher un peu. En toute logique, l’exploitation ne doit pas être très éloignée de la maison. Et en effet, au bout de la bâtisse, je découvre une petite route sur laquelle je m’engage sans hésitation. A une bifurcation, je prends à gauche puisque je distingue un bâtiment derrière des broussailles que je suppose être un bâtiment  de l’exploitation. Au pied de celui-ci, je réalise qu'il s’agit d'une maison d’où sortent des bruits de travaux. Je n’ai aucunement envie de m’engager vers une nouvelle mauvaise direction et décide de demander mon chemin à l'ouvrier qui y travaille.

La porte d’entrée est ouverte, j’entre. Un homme, de dos, frappe avec entrain sur un mur. Inutile de m’excuser de ma présence, il ne m’entendrait pas. L’air est saturé de poussière. Machinalement, je remonte jusqu'à mon nez le haut de mon sweat-shirt. L'homme continue à taper comme un sourd sur le mur. À l'instant où il s'arrête, j'en profite pour l'interpeller.

— Excusez-moi, je cherche la direction de la ferme de Monsieur Tellier.

L’homme fait littéralement un bond de surprise en me découvrant et j’en fais autant en le reconnaissant.

— Désolé de t’avoir effrayé, Brice. J’ai sonné chez Stéphane, cela ne répond pas.  

— Il n'a pas dû réaliser l’heure qu'il est. Et moi non plus, réplique-t-il. Je ne pensais pas que ce mur serait récalcitrant à ce point.

Il s'éloigne de quelques pas, se verse l’eau d'une petite bouteille sur la tête et le liquide glisse de ses cheveux très courts à son visage. Je m'oblige à détourner le regard. Peut-être par pudeur, je suis incapable de le dire. C’est la première fois que je ressens cela.

Cette scène dégage une image très érotique qui me met un peu mal à l'aise. Je ne connais quasiment pas Brice. Mon regard sur lui ne me semble pas correct. Je me fais l’effet d'un pervers d’autant plus que je doute que ce soit de la provocation de sa part. Troublé, j’opte pour la fuite. Je me mettrais volontiers une paire de claques ! J’ai vraiment l’art pour me mettre dans de telles situations. Que va-t-il penser de mon comportement ? Je marche en respirant le plus lentement possible pour reprendre pied. Au cours de mes séances psy, j’ai réussi à évoquer mon homosexualité et ce que cela implique au quotidien. J’ai pris l'option depuis bien longtemps de ne pas me dévoiler. Après quelques désagréables expériences, j'attends de connaître un peu plus les personnes. Certains collègues par leurs propos ont bien plombés des remplacements. La connerie humaine me laisse souvent perplexe.

( Brice )

Le bruit de ses pas qui s'éloignent me permet d’arrêter mes conneries.  La nuit a été une fois de plus difficile et j’avais besoin de libérer certaines tensions. Ce mur fait partie de ceux qui doivent tomber. J’ai estimé que l’attaquer à la masse me permettrait d’évacuer toute ma colère sans attirer l’attention de Stéphane. L’exploitation comme la maison sont assez distantes pour que mes cris ne soient pas audibles.

Le beau temps s’installe et travailler avec les bras et les jambes couvertes sera bientôt impossible. Je n’ai toujours pas la force d’entamer le sujet. L’aurais-je seulement un jour ?

Lorsque j’ai entendu une voix dans mon dos, j’ai été surpris. Rien à voir avec une quelconque trouille, j’ai juste réalisé que mon tee-shirt ne dissimule pas mes avant-bras.  Alors, j’ai agi à l’instinct. J’ai vu ma bouteille d’eau et tilt. Le coup de la flotte est efficace, Éric l’utilisait régulièrement. Il disait, fier de lui, que la plupart des personnes réagissaient de la même façon. Fixer le corps exhibé, plutôt que le sac de beuh sur la table par exemple.   Et pour l’avoir vu plus d'une fois agir, le salopard savait comment maintenir l’attention de celui ou celle qui matait.

À aucun moment il n’a parlé d'une fuite possible du mateur ! Qu'importe,  cette réaction ne lui a sûrement pas donné le temps nécessaire d’apercevoir mes marques. Je retire rapidement le débardeur humide, et enfile mon sweat à même ma peau.

Je  trouve Corentin devant  la maison, une fleur dans la main qu'il examine avec attention.

— Je doute que cela passionne tes élèves ! l'interpellé-je

— Ils sont un peu jeunes pour l’herbier, oui. C’était de la curiosité toute personnelle. Mon appartement au 6ème étage ne me permettait pas de ramasser beaucoup de ce genre de spécimens.

— Ta curiosité va crever le plafond dans le coin. Allez, viens, allons voir ce que fabrique Stéphane.

Comme je l'espérais, il ne commente pas et me suit. Nous avons à peine avancé de quelques mètres que j’aperçois la silhouette de Stéphane. Sa démarche est rapide, le portable à l’oreille. A mes côtés, une sonnerie étouffée.

— Il vient de réaliser et cherche à te joindre ! commenté-je en rigolant, accompagné par le rire de Corentin.

L’absence de mon oncle a failli me mettre dans une situation peu agréable mais son arrivée, impromptue, vient de me sauver en évitant Corentin de revenir sur l'instant gênant...

— J’espère que ton lapin chasseur va être succulent parce que notre invité s’ est retrouvé devant une porte close ! lâché-je d'une voix forte.

— Pardonne-moi, Corentin. Je n’ai pas fait gaffe à l’heure. Heureusement que tu as trouvé ce voyou qui se moque de moi.

— Ne vous tracassez pas, Stéphane. J’ai décidé de ne pas rester faire le pied de grue devant la porte et parfaitement par hasard je suis tombé sur Brice.










À la coque ( le goût de la vie) Où les histoires vivent. Découvrez maintenant