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(Brice )

C’était quoi, ça ? Stéphane semble tétanisé par la remarque acerbe de Vivian. Je ne réfléchis pas et cours après mon cousin. Si mon arrivée le bouleverse, je veux comprendre pourquoi.

— Vivian ? Arrête-toi ! dis-je en lui attrapant le bras. 

Il se retourne vers moi. Je m’attendais à un visage déformé par la rage, j’y découvre une profonde tristesse. Je veux comprendre la raison de celle-ci. 

— Et si je t’accompagnais un bout de chemin ? 

Il ne répond pas, continue à avancer, moins vite me semble-t-il. Devant chez Stéphane, il stoppe à côté d’une voiture. La  sienne, je suppose. Il n’est pas question de le laisser partir sans une explication. Avec détermination, je me positionne près de la porte passager. Puisqu'il ne dit rien, je m’installe sur le siège en même temps que lui, le fait. 

— Tu n’as donné aucun signe de vie pendant plus de trois ans, pourquoi subitement, tu me colles au train ? 

— Peut-être que, justement, il est temps de m’en expliquer.

— Et cela ne peut pas attendre demain ? demande-t-il, ses deux mains posées sur ses cuisses. Je suis tellement en colère qu'il ne m’ait rien dit ! Je pensais que tu étais mort…

— Pour sa défense, j’ai débarqué sans crier gare. Je n’avais aucune idée sur la façon dont j’allais être reçu et encore moins si j'allais rester. 

— Et maintenant, tu le sais ? 

— Il me reste à obtenir ton accord. 

— En quoi je peux être un frein, s'étonne-t-il. 

Je n'ai pas besoin de lui répondre. Son esprit semble avoir mis en place les détails qu'il a vu. 

— Tu veux t'impliquer dans l'exploitation avec mon père ? C'est ça ? précise-t-il tout sourire.

— Oui, chuchoté-je. 

— Sois complètement tranquilisé alors !  Associe-toi avec papa. Je peux bien te l'avouer, je déteste cette exploitation. 

— J’ai pourtant des souvenirs de moments heureux dans la tête.

— Moi aussi. Sauf qu’au fur et à mesure, elle m’a pris mon père. Qui, pour nous assurer un minimum de confort, s'y tuait à la tâche. Petit, c'était drôle. Adolescent beaucoup moins. Et puis, faut que je t’avoue un truc, me confie-t-il en baissant le ton de sa voix. Je déteste ces satanées bestioles !

J'éclate de rire, avec l’image de Corentin tout tremblant une poule entre les bras.

— Tu l’as dit à Stéphane ?

— Pas aussi nettement mais je pense qu'il a dû s’en rendre compte. Nous nous parlons peu en fait. 

— Tu vas me trouver gonflé de te dire cela mais tant pis. Parle-lui. Ne lui cache pas ce que tu ressens. Dire qui j’étais à mon père a provoqué son dégoût. Mais, partir sans rien vous dire était stupide. 

— Nous laisser sans nouvelles surtout. Je t’en veux de ce silence, tu sais. J’étais pas loin, tu aurais pu me dire ce que tu vivais chez toi. 

— Je ne voulais pas détruire la relation familiale entre mon père et le tien. Au final, je vous ai fait malgré tout souffrir. 

— Je veux bien entendre ces explications. Aujourd'hui ou plus tard. Mes vacances se terminent dans trois jours.

— Maintenant. 

Pendant que Vivian démarre la voiture, je laisse un message à Stéphane pour le rassurer. Je n’ai pas aimé ce qui s’est passé et j’espère en apprendre un peu plus de la bouche de Vivian. Le père et le fils étaient, dans mes souvenirs, complices. Que s'est-il passé pour que leur relation se soit à ce point modifiée. 

Vivian coupe le moteur et sort du véhicule. Il semble tendu sans que je comprenne pourquoi. Lorsqu'il pousse la porte de l’immeuble, je le suis. 

— Tu vis ici depuis quand ?

— Presque deux ans. Mon premier poste avait des horaires qui me permettaient de rester à la maison. Le nouveau, accompagné d'un CDI rendait cette situation impossible. Trop d’aller- retour. J’ai donc pris un appartement.

Tout en parlant, nous avons grimpé deux étages. Il ouvre une porte et se pousse pour me laisser entrer. Je découvre une pièce regroupant cuisine et salle. Simple, peu meublée. 

— Ce n’est pas très grand mais cela me suffit. Mon boulot est à cinq minutes à pied, le quartier dispose de tout le nécessaire. 

— Il est très sympa, très lumineux. 

Dans ma tête défilent les lieux où j’ai vécu. Sombres, petits. 

— Et quand tu es parti, cela n’a pas été trop dur pour ton père ? 

Mon cousin me regarde, baisse les yeux.

— Je ne sais pas. Tu sais, ton départ a été un choc pour nous. Papa pensait que tu étais parti sur un coup de tête, que tu allais revenir. Quand ton père lui a raconté, le mien était très en colère. Il hurlait dans la maison, vos voisins étaient aux premières loges. Tu le connais, ton père n’en menait pas large face aux vociférations du mien.

— A vrai dire, non. Je n’ai jamais entendu Stéphane crier. Cela te gêne que je l’appelle ainsi ? Lorsque je venais ici, je trouvais son calme, ses blagues tellement apaisantes. A la maison, c’était devenu invivable. Entre silence dédaigneux, et insultes selon la quantité d’alcool ingérée. 

— Ah ! Crois-moi, cela lui arrivait de hausser le ton mais c’était, j'avoue, mérité. Il s’ en est voulu de ne rien avoir vu, compris de ce qu'il se passait chez vous. Il a même cru à un moment que, moi, j’étais au courant. 

— J’ai eu envie de t’en parler. Bien avant de partir pour que justement ton père lui remette les idées en place. Mais cela impliquait de te dire que j’étais homo. 

— Attends. Tu as cru que j'aurais pu te rejeter à cause de ça ? Sérieux ? 

— Oui. Mon père n’a jamais été un homme très aimant, ni avec moi ni avec ma mère. Un vrai connard comme on voit dans les films. Mais lorsque j’ai pris mon courage à deux mains pour me dévoiler, toute sa fureur s’ est cristallisée sur ce seul fait. Avec le recul, je me demande s'il n'aurait pas été préférable qu'il me vire de la maison. Mon but était d’attendre un peu. Je bossais pour économiser le moindre sou. Passer mon permis, pouvoir voler de mes propres ailes. J’y étais presque. Et puis je lui ai parlé de mon idée de vacances. Il est devenu enragé.  

— Il te frappait ? m’interrompt-il brusquement.

— Ça lui arrivait de me filer une gifle quand j'étais plus jeune. Stéphane ne t’a jamais claqué ? 

— Non. Il était plutôt partisan des punitions. Je réalise à quel point je suis chanceux. Il t’a cogné ce jour-là ? 

— Non. Mais ses propos étaient pires que des coups. Son regard, ses mots, tout puait la haine qu'il ressentait pour moi. J’ai vidé mon compte en banque, et je suis parti. 

— C'était définitif ? 

— C’était pas aussi net dans ma tête. Je voulais partir avec mon copain, profiter de ces vacances ensemble. Loin de tout ça. 

— Mais tu t’es retrouvé seul...Clovis est venu me parler, il se sentait mal.

— Ah, je suis surpris. Je crois qu'il était moins amoureux que moi, ou pas de la même manière. Sa défection aurait pu me faire rebrousser chemin, elle a eu l’effet inverse.










À la coque ( le goût de la vie) Où les histoires vivent. Découvrez maintenant