(Brice)
Est-ce que je suis réellement en train de faire ça, réalisé-je à l'instant où je suis sur le point de relever ma manche. La main de Corentin se pose sur la mienne et accompagne mon mouvement. Je ferme les yeux. Je n’ai pas la force de découvrir ce qu'il pense de mes cicatrices. Ses mains font glisser ma manche telle qu’elle était il y a quelques secondes.
— L’autre bras est dans le même état ? s'inquiète-t-il.
— Les cicatrices y sont surtout plus anciennes, avoué-je, bien décidé à me libérer d'une partie de mon fardeau. Très vite, à peine pubère, j’ai compris que j’étais gay. J'ai préféré le dissimuler à la maison. L'opinion de mon père sur ces dégénérés, comme il disait, était suffisamment explicite. Un affront pour lui. Pas le genre de bonhomme à discuter autour d'une table pour comprendre quoi que ce soit. Il a rejeté purement et simplement mon homosexualité dès qu'il l'a su. Pour lui, je devais en faire autant, point final. Ses regards étaient haineux, ses propos volontairement humiliants. Je me croyais fort, capable de tenir…
— Ton oncle savait ?
— Non. J’étais si obstiné, soupiré-je. Je ne voulais pas le mêler à cela, persuadé qu'il aurait péter un câble. Mon père lui a dit peu de temps avant de mourir. Il paraît qu'il regrettait.
Je ne sais même plus pourquoi j’ai décidé de me confier à ce mec. Sûrement parce que justement c’est un inconnu ou presque.
— Je ne me suis pas encore dévoilé à mes parents, avoue-t-il. Je suis un adulte et nous n’avons pas vraiment de relations suivies. Je n’ai pas pour habitude de le clamer haut et fort d'une manière ou d'une autre. Ton show avec la bouteille d'eau, c’était pour m’empêcher de me focaliser sur les marques ?
— Oui. Pitoyable improvisation, j'avoue, mais j'ai paniqué à l’idée que tu en discutes avec Stéphane. Je ne sais pas comment lui parler de tout cela, alors je recule.
— Il me semble être une personne très ouverte. Si cela le dérangeait, il pouvait te refuser de t'héberger, non ?
— Ce n'est pas du rejet de mon homosexualité que je parle.
— De quoi, alors ? Que tu te scarifies ? Ou des motifs de cet acte ?
— Les motifs sont, je pense, sensiblement les mêmes pour toutes les personnes qui en arrivent à se mutiler. J’ai peur du jugement qu'il pourrait porter sur moi. Il est ma seule famille…
— Je ne sais pas si tu vas accepter ce que je vais dire mais tant pis je me lance. S’il te jugeait mal, est-ce que tu aurais envie de continuer à vivre ici ? A prendre une part importante dans l’exploitation ?
— Non, je n’y arriverai pas. J’ai fui pour ne plus souffrir du jugement de mon père.
— Alors, n'attends plus pour lui parler. Cette maison que tu construis, tes projets doivent avoir une base solide.
Ses paroles me troublent par leur justesse. Je dois cesser de me retrancher derrière mes peurs. Stéphane n’est pas mon père, il m'écoutera.
— Merci, Corentin. Je n’avais pas prévu de t’en dire tant. J’ai pris du retard, dis-je en voyant l’heure sur mon portable. Il faut que je file sur l’exploitation.
— Si tu me demandes de gérer ni les poules ni les lapins, je peux t’aider si tu veux ?
— Tu risques d'abîmer ton beau jean, dis-je goguenard.
Il sourit et, sans dire un mot, fait glisser son pantalon par terre, sort du sac qu'il a posé au sol un jogging qu'il enfile. Quand il se retourne vers moi, tout sourire, je ne trouve qu'une seule parade pour camoufler mon trouble.
— Vu l’état de celui-ci, il est presque préférable que tu le déchires !
(Corentin)
Il n’était pas question que je le laisse après de telles confidences. Je me surprends moi-même sur ma façon d’agir avec ces deux hommes. En acceptant de partager un repas, j’ai l’impression d’avoir ouvert d’autres portes.
La matinée continue entre discussion et travail. Enfin, c'est plus Brice qui agit que moi mais je ne ressens pas que ma présence soit une gêne. Les poules ne sont pas dans le poulailler donc je peux sans crainte ramasser les œufs. Avec patience, Brice me montre comment faire. Il remplit le réservoir d'eau avec le tuyau d'arrosage et un bref instant, je vois poindre une étincelle de malice dans ses yeux.
— Je ne te le conseille pas, préviens-je.
— Tu me prêtes des idées qui ne m’ont pas un instant effleurées, se défend-il en toute mauvaise foi.
— Je te crois, je te crois.
Faire de l'exercice me fait du bien mais contrairement à Brice, je fatigue. Est-ce pour cette raison qu'il propose de faire une petite pause ? Peut-être, mais j'accepte avec plaisir.
Quelques minutes plus tard, je me retrouve attablé dans la cuisine, devant une tasse de café, du pain et de la confiture. La même hospitalité naturelle que Stéphane m’a offerte !
— Tu vas donc t’ installer dans la maison que tu retapes?
— Stéphane et son fils Vivian sont la seule famille qui, à ma connaissance, me reste. Comme tu as pu le constater, je m’entends plutôt pas mal avec mon oncle. Vivian revient bientôt de ses vacances, je ne l’ai pas vu depuis très longtemps.
— Sait-il, lui aussi, pour ton homosexualité ?
— Aucune idée. Je suppose que oui.
J’ai l’impression qu'il s’est refermé à partir du moment où le fils de Stéphane a été évoqué. De quoi a-t-il peur ? D'un possible conflit avec celui-ci ?
— Tu sembles être inquiet à l’idée de le revoir, je me trompe ?
— Stéphane ne m’en veut pas d’être parti sans rien dire, et de ne pas avoir donné de nouvelles. Je ne sais pas si Vivian sera dans le même état d’esprit. Il exigera peut-être des explications…
— Que tu redoutes de donner. D’où, une fois encore, l’importance d’en discuter auparavant à son père. Lui, saura te dire si cela peut poser un problème, non ?
Son regard angoissé me confirme que mes suppositions sont bonnes. J’ai très envie de le prendre dans mes bras pour le rassurer. Il ressemble à un jeune enfant terrorisé d’avoir à avouer une bêtise.
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À la coque ( le goût de la vie)
RomansaLorsqu'un matin, Brice débarque chez son oncle Stéphane dans une petite commune du Sud-Ouest, c'est un événement. En effet , le jeune homme a disparu depuis plus de trois ans sans aucune explication. La parenté mais surtout une relation amicale, d...