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( Corentin ) 

Brice vient de me laisser un message, il arrive. C’est nouveau pour moi ce genre d’attention et j’apprécie vraiment. Depuis mon départ de chez mes parents, j’ai toujours vécu seul sans en éprouver de la peine. A aucun moment, je n’aurais parié sur un quelconque attachement ni de la force de celui-ci. Je n’ai ressenti aucun coup de foudre, ni craqué pour un physique de folie. Rien de tout cela. Je ne sais même pas l’expliquer. J’ai juste la certitude qu'il est l’homme de ma vie. 

Son projet avance bien, et je n’ai aucun doute qu'il aura du succès. Il complète un dispositif qui fonctionne déjà au sein de la commune. Regrouper dans un même lieu différents marchands pour limiter les coûts de location est une idée novatrice. Créer des habitats pour accueillir prioritairement des familles a redonné du sens au lien. Sa ferme pédagogique ouverte aux écoles, Ehpad et Instituts Médicaux Educatifs suit le même chemin.

Ses mains se posent sur mes hanches, sa bouche dans mon cou, je ne pense pas pouvoir me passer de ce rituel lorsqu’il arrive à n’importe quel moment de la journée. 

— Hum. C'est ma place préférée, commente-t-il. Ne crois pas que je n’ai pas compris ton petit manège ! Je te soupçonne de volontairement me tourner le dos pour que je m’y colle. 

— Le but de tes messages m'annonçant ton arrivée n’est pas que justement je le fasse ? 

— Bien sûr que si. Tu as le bonjour de Stéphane. Je crois que tu vas l’adorer, il me met à la porte de chez lui. 

— Et tu es d’accord ? répliqué-je sur le même ton humoristique que lui.

— J’attendais de savoir ce que tu allais en penser avant de, le cas échéant, me chercher un lieu où m'installer. 

Je le laisse me serrer contre lui, sans commenter. Il connait déjà ma position et le fait que je ne voulais rien obliger. Petit à petit, Brice apprend la notion de confiance, pas question que je le brusque. Stéphane l’aide parfois, à sa façon, à accélérer un peu. 

— Je vais me trouver un véhicule pour ne pas monopoliser le tien, et petit à petit envahir ton espace.

— Je n’attends que cela. Cela t’angoisse de laisser Stéphane ? 

— Pas vraiment, dit-il, en se détachant de moi.  Nous nous verrons dans la journée, je ne savais juste pas vraiment comment lui en parler. 

Je sais très bien que quelque chose le tracasse. Si ce n’est ni Stéphane ni le projet, il va falloir que je pousse un peu plus les investigations. 

— Ton oncle t’a parlé de cela au moment de partir ? Cela ne t’a pas mis en retard pour ce que tu devais faire ?  

— Ah, tu es un petit malin ! Tes élèves vont avoir des difficultés pour te raconter des craques.

— Je te rappelle que je suis maître des écoles, bébé. Aucun élève ne tente cela dans les petites classes. Mais si tu veux, je connais pas mal de méthodes pour faire parler les récalcitrants.

Son manque de répartie est assez significative, je suis sur la bonne voie. Je me positionne face à lui, bloquant toute retraite possible. 

— Dis- moi ce qui te tracasse. Est-ce que cela a un rapport avec tes geignements nocturnes ?  

— Cela te réveille ? s'inquiète-t-il. 

— Non. Vas-y bébé, lâche le morceau. 

— C'est avec Armand que j'avais rendez-vous. Mon père peuple un peu trop souvent mes nuits ces derniers temps. 

— J'imagine à quel point cela peut être flippant. Et il fait quoi ?

— Oh il est lui même, odieux, aigri, alcoolisé…

— Pour que cela te mette dans cet état, il doit y avoir autre chose, bébé.

— Je le vois discuter avec Stéphane… Pourquoi cela me met dans cet état ? 

— Parce que tu n’as pas pu lui parler, pas pu lui expliquer ton départ, faire ton deuil en gros. Que t’a dit Armand ?

— À peu près cela.  Que j’arrive à la dernière étape.

— Et ? Qu’est-ce qui bloque ? 

— Tu te souviens qu'il est mort, s'énerve-t-il. Je ne peux pas lui parler,  je n’ai pas cette force que tu as avec les mots, moi. Je m’identifie plus au mec qui déverse sa rage et sa tristesse sur sa pierre tombale que sur du papier, tu vois ?  

— Qu’est-ce qui t’interdit de le faire ? Tu ne vas pas déranger les voisins. 

— Et si cela foutait en l’air mon projet ? Que je vide mon sac ? 

— Je ne pense pas qu'il y ait foule. Et puis ceux que cela pourraient intéresser sont au courant, non ? Je suppose que ton père ne chuchotait pas, les voisins devaient les entendre.

— ....

— As-tu peur qu'ils te rejettent, eux aussi ? C’est cela qui te fait peur, Brice ? Il va être urgent que l’on discute. 

— C’est justement tout cela qui met mon cerveau en vrac. Je ne sais pas si je veux cacher mon homosexualité ou m’interdire de la dissimuler. Des gens le savent, toi ? 

— Je ne suis pas plus à l’aise avec cela, tu sais !  Enfin avec ma hiérarchie et mes collègues, j'estime, à tort ou à raison, que cela ne les concerne pas. Enfin, c’était le cas, je ne restais rarement plus de quinze jours au même endroit. Cela ne me semblait pas nécessaire. Je ne sais pas encore ce qui va se passer à la rentrée mais je n’ai pas l’intention de cacher notre relation. Tu en penses quoi ? 

— Je suis soulagé, je crois. Dans l’enceinte de l’appartement, cela me semble logique, mais à l’extérieur, j’aimerais aussi pouvoir te tenir la main par exemple. Est-ce que c’est quelque chose de courant ? Risqué ? En dehors de Clovis et d’Éric, je n’étais en contact qu’avec un groupe très limité de personnes. Je n’ai aucune expérience et ce que j’en ai lu sur le Net n’est guère encourageant .

— Je pense que suivant l’endroit, le comportement des personnes doit être différent. Je n’ai jamais eu de copain avec qui j’aurais eu à me poser ce genre de questions. Veux-tu que nous en parlions de façon plus approfondie avec Armand, qu'il nous conseille ? 

— Cela me semble une bonne idée. Quant au cimetière, j’ai besoin d'y réfléchir et je… j’aimerai en discuter avec Stéphane. Si je ressens que cela le gène ou quoi que ce soit, je verrai. 



À la coque ( le goût de la vie) Où les histoires vivent. Découvrez maintenant