(Vivian)
J’étais vraiment en colère contre mon père. Enfin plus énervé qu’en colère, parce que dans ma tête, mes phrases étaient écrites. Ma détermination était entière, forte. Découvrir Brice à ses côtés, mon seul cousin avait été un choc. Une drôle de sensation, comme si j'avais été exclu de ces moments. J’avais fui, physiquement cette fois. Impossible de lâcher tout ce que j’avais sur le cœur devant Brice. Je ne m’attendais pas du tout à ce que celui-ci me coure après et encore moins qu'il s’interpose.
Ainsi il souhaite rester et s'investir sur l’exploitation. Son projet me semble viable et le savoir à côté de mon père me plait bien. Il s’est un peu confié sur ce qu'il se passait chez lui. Cela ne me surprend pas trop, les langues ont fonctionné sévères quand le” petiot de l’ivrogne “ a disparu du jour au lendemain. Rien que ces quelques mots étaient suffisants. Surtout que concernant Antoine, le père de Brice, parler d’alcoolisme n’était pas un mensonge. Cela mettait mon père en colère puisque son frère devenait vite incontrôlable. À Saint-Martin, il n’y avait qu'un café qui faisait office aussi de petite épicerie. Autant dire que des témoins de ses hurlements, de ses vociférations sous l’effet de l’alcool, il y en a eu un certain nombre. Dans leur maison aussi, principale raison pour laquelle Brice avait un temps vécu chez nous. Cela ne m’avait pas dérangé le moins du monde, Brice ne disait pas grand chose. Il semblait en recul comme s'il découvrait un monde nouveau. Vu ce qu'il m’a avoué, c’est sûrement ce qu'il devait ressentir. Cela me met hors de moi qu'il aie choisi le silence. Peut-être qu'il n’aurait pas opté pour la fugue. Même si je ne pense que ce mot soit adapté à une disparition de presque trois ans. J’ai tenté d’en savoir plus mais j’ai vite compris qu’il n’y était pas prêt. Je l’ai raccompagné chez mon père, sans descendre de la voiture.
(Stéphane)
Mais quelle mouche l’a piqué ? C’était quoi ce ton acerbe ? Toute une série de questions défilent dans ma tête. Autant être honnête, le fait de taire le retour de son cousin a été une immense connerie. Mon intention n’était en rien de lui cacher plus longtemps. Je lui aurais dit en allant le chercher à la gare.
J’ai fini le travail important sur l’exploitation incapable de m’impliquer plus. Plus de deux heures que Brice m’a laissé ce message me précisant qu'il partait avec Vivian. Dans ma tête, j’échafaude toute une série d’explications possibles sans conviction. Si je n'ai pas de nouvelles d'ici une demie- heure, je fonce en ville. C'est exactement à cet instant que j'entends le ronronnement d'un moteur et le bruit d'une portière que l'on claque. La porte s'ouvre laissant Brice entrer, seul.
—Il t’a juste déposé ? Mais qu’est-ce que je lui ai fait pour qu'il me traite ainsi ? grommelé-je. Il ne s’est pas mal comporté avec toi, j’espère ?
— Non. Tu sais, il a juste été déboussolé de me trouver là.
— Je reconnais que c'était pas malin de ma part. Plutôt que déguerpir, me parler c’était mieux, non ? Même me gueuler dessus aurait été mieux !
— C’est pour cela que je l’ai rattrapé. J'aurais dû moi aussi agir autrement. Tonton, je crois que tu devrais aller chez lui. Crever l’abcès.
— Tonton ? Y a plus de Stéphane ? Ça lui pose un problème ?
— Mais non, que vas-tu chercher ? C’est moi qui ait réalisé que cela a dû augmenter sa sensation d’exclusion. Je disparais sans rien dire, et il me trouve en train de rire avec toi comme si on était pote.
— Moui, t’as raison, dis-je en me frottant le crâne. Il n’est pas très tard, cela t’embête si j’y vais …
— Si ça m’embête ? Parce que c’est moi qui commande maintenant ? Va parler avec lui. D’après ce que je comprends, ce n'est pas si fréquent.
Je ronchonne pour le principe même si je suis parfaitement conscient que c'est l'exacte vérité. Je me lève, attrape papiers et clefs de la voiture et me dirige vers la porte d’entrée.
— Prenez le temps nécessaire, je m'occuperai des animaux demain, précise Brice avec un léger sourire.
La distance pour rejoindre la ville et me stationner devant chez Vivian ne me prend qu'une vingtaine de minutes. Sortir de la voiture et franchir la distance pour me retrouver devant l’interphone, presque autant et cela m’énerve.
Il ne me vient même pas à l’esprit que je pourrais le déranger, qu'il est peut-être avec des amis. Je me contente d’appuyer sur le bouton en face de son nom.
— Oui ? demande mon fils d'un ton sec. Il est spécifié à l'entrée pas de démarchage.
— C’est moi, dis-je. Tu m’ouvres ?
La porte se déclenche dans la seconde et j’entre, réalisant que je ne sais ni l’étage ni le numéro de l’appartement. J’avance, cherche les boîtes à lettres pour être renseigné quand j’entends des bruits de pas dans les escaliers. Bien avant qu'il apparaisse et traverse le hall d'un pas énergique, je sais que c’est lui. Je ne sais que dire pour expliquer ma présence, nous avons l’air de deux idiots dans ce hall d’entrée.
— Viens, me dit-il. Montons.
Je lui emboîte le pas sans rien dire. Il a changé de vêtements. Le jean noir a laissé la place à un jogging plus décontracté. Ses cheveux sont mouillés comme s'il sortait de la douche. Fait-il parti de ses adeptes de la course à pied ?
— Pas vraiment, non ? réplique-t-il amusé par mes mots lachés à haute voix par inadvertance. Mais ce soir, j’en avais besoin. C’est Brice qui t’a poussé à venir ?
— Il n'en a pas eu besoin. Je me suis rendu compte tout seul que ton vieux père était en train de devenir aussi con qu’Antoine.
— Tu as encore de la marge pour cela, je pense. Je ne suis pas plus malin. Cela fait trop longtemps que je laisse le silence s’installer.
Il a stoppé devant une porte qu'il ouvre en appuyant sur la clenche.
—Tu n'avais pas fermé ta porte ?
— Alors que mon père souhaitait me voir ? Pour la première fois depuis mon installation ?
Son ton est moqueur, rien de comparable à sa remarque de tout à l'heure. Parfois les pères eux aussi ont besoin d'être sermonnés.
Je découvre son appartement pour la première fois. Je sens son regard sur moi, attendant mes réactions.
— Je ne pouvais pas t'empêcher de partir, Vivian. Une part de moi se disait que si je ne venais pas ici, tu viendrais plus souvent me voir. Je n'ai juste pas pris en compte ce que cela impliquait. J’en ai voulu à mon frère de rejeter son fils pour ce qu'il était sans réaliser que je faisais exactement pareil avec toi. Je n'ai pas cerné à quel point je t'imposais de prolonger ce que j'aimais.
— Ne sois pas si dur avec toi. Sans ta force et ton acharnement pour faire évoluer la ferme, nous aurions été en difficulté. J'y ai passé de super moments. Je ne savais pas comment te dire que je ne voulais pas vivre comme toi. Nous avons plein de choses à nous dire.
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À la coque ( le goût de la vie)
RomansaLorsqu'un matin, Brice débarque chez son oncle Stéphane dans une petite commune du Sud-Ouest, c'est un événement. En effet , le jeune homme a disparu depuis plus de trois ans sans aucune explication. La parenté mais surtout une relation amicale, d...