(Stéphane )
Je me suis levé deux fois dans la nuit. Juste pour vérifier que j’entendais sa respiration de l’autre côté de la porte. De toute façon, ma nuit a été courte. Découvrir Brice à ma porte m’a fait un choc.
Trois ans qu'il est parti sans une seule explication. Mon frère Antoine, son père, était loin de posséder une personnalité facile. Son intolérance sur un certain nombre de sujets provoquait des tensions autour de lui. Mon neveu, Brice, en faisait régulièrement les frais. Notre maison se situait en bordure du village, et quand quelques voisins me parlèrent de cris régulièrement poussés dans la maison de mon frère, j'avais été le voir.
Le petit, fils unique, était un gentil gamin qui travaillait bien à l'école, poli. Je ne voyais aucune raison particulière à ces cris aussi je proposais de prendre Brice quelque temps à la maison. Vivian, mon garçon était un peu plus âgé que lui et ils s’entendaient bien. Ma femme était décédée deux ans avant et j’élevais donc mon gamin seul.
Je ne sais pas comment les autres envisagent l’éducation de leurs enfants mais, à la maison, il n’y a pas de sujets tabous. J’ai vite réalisé que chez Antoine, c’était différent. J’ai encore en mémoire la tête affolée de Brice alors que Vivian me posait des questions sur la sexualité. Ne voulant pas le gêner, je l’avais rejoint dans sa chambre, le soir même, pour lui préciser qu’ici nous n’avions pas de sujets interdits. Et que s'il ressentait le besoin d’en parler seul avec moi ou avec Vivian, il était libre de le faire. Sous prétexte qu'il y avait Vivian, il est venu très souvent des week-end, à des vacances, il n'a jamais parlé de quoi que ce soit.
Lorsque mon frère sur son lit de mort ou presque m'a confié l'engueulade de trop sur l'homosexualité avouée de son fils j'y ai repensé.
Je n'ai aucune idée de la façon dont je vais m'y prendre mais je n'ai pas envie qu'il reparte.
(Brice)
Cela faisait un sacré moment que je n'avais pas si bien dormi. Je pense que l’accueil chaleureux de Stéphane y est pour quelque chose. C’était ce que j'espérais en venant ici. Un peu de réconfort. Derrière la porte, j’entends les bruits du quotidien. Je sais que je ne vais pas pouvoir éviter la salve de questions à venir, et je ne peux m’empêcher de frissonner en y songeant. Dois-je être honnête ? Si rien n’a changé, cette maison était le lieu où tout sujet pouvait être évoqué. Angoissé, je me recroqueville sous les draps. Pendant ces quelques années, je crois que j’ai franchi toutes les barrières. Je suis descendu très bas pour suivre celui que j’aimais.
—Brice ? m’appelle mon oncle. Je pars dans une petite heure. Il est 7 heures, je reviens vers midi en général…
—J'arrive dans cinq minutes, dis-je en m'étirant.
L'odeur du café m'assaille dès que je traverse le couloir donnant sur la cuisine. La chambre de mon oncle est sur l'autre partie, ces pièces servaient à Vivian et aux visiteurs.
Lorsque j'entre dans la cuisine, c'est un saut dans le temps que j'exécute une fois encore. Appuyé contre le plan de travail défraîchi comme il l’a toujours fait, Stephane savoure son café.
—Toujours cette même habitude ?
— Et oui, rien n'a changé, dit-il avec un petit sourire et je sais qu'il ne parle pas que du café.
—Si j'accélère le mouvement, je peux venir avec toi ?
Le sourire derrière le mug me suffit. Je m’installe à table, tartine une belle tranche de pain avec du beurre, j’y rajoute de la confiture et avec un soupir de satisfaction anticipé, je croque dedans.
— Un café avec ?
— Non merci. Tu as du lait ?
— Dans le frigo. Je vais te trouver des fringues qui soient plus adaptées. Vivian en a laissées.
— C’était une de mes questions. Il devient quoi ?
— Il revient à la fin de la semaine, il est en vacances.
—Il travaille avec toi ?
— Non, mais parfois il me donne un coup de main. Il bosse dans une boutique de téléphonie dans la ville à côté, où il vit d’ailleurs.
—J’aurais parié qu'il resterait avec toi sur l’exploitation !
— Ben, t’aurais perdu, lâche-t-il en se levant.
Après un très rapide passage à la salle de bain, je rejoins mon oncle dans la cuisine. Sur la table, un tee-shirt et un sweat à manches longues. Je suis tétanisé à l’idée de me mettre torse nu devant lui.
— Si cela ne te dérange pas, je les mettrai après le boulot. Toutes mes affaires sont sales, cela me fera un change en attendant qu’elles sèchent.
Il acquiesce sans dire un mot, et sort de la pièce. Est-ce le fait de parler de Vivian qui l’a mis de mauvaise humeur ? Je le suis comme si je n’avais rien remarqué.
Lorsque je venais passer mes vacances ici, je trouvais génial qu’en traversant la cour, je me trouve de suite au milieu de l’exploitation elle-même. Je m’y sentais libre. Chez nous, il y avait qu'un petit bout de terrain visible de la fenêtre de la cuisine. Impossible de m’y détendre sans sentir le regard aigri de mon père. Alors que tout semblait être ancré dans le passé, ce n’est apparemment pas le cas de l’exploitation. Dans mes souvenirs, elle était grande, avec un poulailler de grande taille, des clapiers à lapins, des enclos pour les moutons, et si je me souviens bien, parfois un cochon.
Rien à voir avec ce que je découvre. Deux maisonnettes que l’on dirait sorties d'un livre pour enfants, un enclos avec quelques oies si je ne me trompe pas, et quelques clapiers à lapins.
—Dans mon souvenir, c’était beaucoup plus grand, commenté-je en me grattant la tête.
— Tu n’as pas rêvé, gamin. Il y avait plus de bâtiments, c’est certain. Et du boulot par-dessus la tête pour au final un retour d’argent peu conséquent. Même avec l’aide de Vivian, c’était plus possible. J’ai juste gardé un peu et j’ai pris un boulot à côté. J’ai repris cette année, différemment.
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À la coque ( le goût de la vie)
RomanceLorsqu'un matin, Brice débarque chez son oncle Stéphane dans une petite commune du Sud-Ouest, c'est un événement. En effet , le jeune homme a disparu depuis plus de trois ans sans aucune explication. La parenté mais surtout une relation amicale, d...