Adam : c'était écrit comme ça, j'espère juste que tu ne m'en voudras pas.

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Je m'approche d'elle, elle s'est endormie, la tête contre la fenêtre secouée par les remous du train. Assis tout de même quelques sièges plus loin, je ne peux m'empêcher de me dire qu'elle ne va pas tarder à tout savoir et que je serais forcément rappelé pour qu'elle n'ait plus à me voir. Plus je l'observe et plus je me dis que ce n'est pas une si bonne idée de tout lui révéler. Mes mains sur ma nuque, j'enfonce mes ongles, en colère contre tout ça, en colère contre moi.

Je sais où je dois aller, je sais que je dois m'éloigner, alors j'attends l'arrêt suivant et descends. Je demande s'ils n'ont pas un vélo à louer, j'ai besoin de m'aérer. Alors, je commence à pédaler de plus en plus vite, ne plus penser, oublier toute ma vie d'avant et tout ce qu'ils m'ont imposé.

D'abord ce corps dont je ne voulais pas vraiment, ce corps bien trop pesant. Les parents qui vous imposent des tenues ridicules qui ne vous vont pas, mais petit, on se dit juste que tous les enfants doivent penser comme ça. Que ce sont les parents qui font ce dont ils ont envie sans vraiment nous demander notre avis. Et puis cette sensation de ne jamais être au bon endroit où que l'on soit et comprendre que ce n'est pas l'endroit qui ne va pas, mais cette enveloppe et ce corps qu'on a.

Avancer, et ressentir toutes ces sensations qui ne font que le confirmer, qu'ils se sont trompés, que ceux qui gèrent tout ça, ne nous ont pas mis à la bonne place et qu'on ne sera jamais capable de s'aimer. Affronter le miroir, serrer les dents et vouloir que tout s'efface, ce qu'on voit comme tout ce qui fait qu'on est comme ça. Serrer les doigts sur le lavabo, faire couler l'eau brûlante sur sa peau. Finir par retirer ses mains, parce que même la douleur, on ne la supporte pas, décidément rien ne va.

Et puis même à l'école on vous fait comprendre que vous avez raison de le cacher, que si t'es dans le mauvais étui, c'est tant pis pour toi, t'y resteras.
Être une fille et demander à celui qu'on croit être un ami, comment ça fait d'être un garçon, une simple question qui vous coûte ce regard bizarre et d'abord cet éloignement. Devenir celle qu'on ne doit pas approcher par peur d'être contaminé. Se dire que tant pis, tant qu'à faire, on va essayer une chemise un petit peu moins féminine avec un parfum masculin. Arriver en cours de sport, et se faire tabasser parce qu'une fille doit rester une fille et pas question de changer les choses dans ce monde de cons biens pensants. Il faut filer droit, peu importe où tu vas, peu importe si tu dois être emprisonnée les soixante-dix prochaines années alors que ta culpabilité repose sur des jugements infondés.

Je ferme les yeux, ne regardant même plus le béton parfois, juste cette douleur qui revient et ne s'éteint pas.

Des murmures sur ton passage, des regards, des sourires de ceux qui ne te veulent pas du bien, au collège chaque année, même pas de pause entre deux pour souffler. Alors tu couvres ce miroir, qui te renvois ces soirées où ils ont fait pire que de te tabasser, où ils se sont mis à plusieurs avec un briquet pour te marquer comme le bovin du troupeau détraqué. Attacher les mains derrière le dos, ne pas pleurer, ne pas leur donner la satisfaction de tes larmes qui veulent couler. Rentrer à la maison comme une gentille fille et dire que la soirée s'est bien passée, monter, et ne pas pouvoir crier, ne plus pouvoir pleurer, juste sentir le sang pulser. Lui aussi veut sortir, veut s'exprimer. Le harcèlement, voilà ce que c'était, celui où tu te tais bêtement parce que de toute façon, c'est de ta faute, t'avais qu'à pas te haïr à ce point-là, ce sera juste ta punition de pas être capable de t'accepter avec ce que t'as.

Pédaler toujours plus vite, frôlé par les voitures parce que la nuit commence à tomber.

Et puis cette fille que tu croises dans les couloirs, celle un peu solitaire aussi, qui sourit quand quelqu'un l'approche, mais qui cache sa tristesse de ce qui doit se passer derrière le rideau, quand la scène de la journée en cours est terminée. Cette fille qui fait accélérer ton cœur et le colore un peu plus de cette teinte qui vient t'imposer ta réalité, celle que t'as compris depuis un moment et à laquelle tu vas devoir te confronter si tu ne veux pas sombrer. Partir, partir loin d'elle pour pas mourir, tu reviendras plus tard lui dire ce qu'elle a déclenché, parce qu'un jour quand tu seras enfin toi, tu pourras oser aller lui parler. Elle ne verra pas ce que tu veux te cacher à toi aussi, elle te verra et puis tu verras bien ce que te réserve la vie. Alors, tu prends un dernier appui dans le fond pour remonter à la surface, tu fais ton sac, parce que le scénario des parents qui n'ont pas accepté, a été validé. Ne reste plus qu'à savoir où aller.

Commence par tomber!Où les histoires vivent. Découvrez maintenant