Adam : c'est elle qui a tout déclenché

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Mon dos appuyé sur la banquette, mes jambes se mettent à trembler. Ce mouvement que tout le monde fait quand il semble s'impatienter. Pourtant j'essaye de me convaincre que je ne suis pas si pressé que ça de la voir entrer.

Pourquoi a-t-il fallu que ce soit elle ? Elle ne pourra pas se souvenir de moi, c'était bien avant tout ça. Mais moi je l'ai reconnue dès que je me suis approché. Et j'ai levé les yeux au ciel en me demandant si c'était une blague. Cette fille est juste la première qui m'a tellement troublé que, sans le savoir, c'est elle qui a tout déclenché. Parce que ce jour-là, je suis rentré et je me suis dit que je ne pouvais plus me mentir, elle était encore un signe de ce qui jour après jour était en train de s'imposer au fond de moi. Et puis j'ai dû partir, et je ne l'ai jamais vraiment revue.

Je lève le menu, elle vient d'arriver et je ne veux pas qu'elle me voit. Pourtant mon regard se porte sur elle, à beaucoup plus de reprises qu'il ne le devrait. Sa veste a changé, et puis une dizaine de minutes plus tard, elle souffle dans ses mitaines pour se réchauffer et se dépêche de coller ses doigts à sa tasse pourtant brûlante.

Je retarde ce moment où je vais débarquer, je dois m'y prendre correctement pour ne pas qu'elle veuille partir. Mais pour l'instant je demande juste à mon cœur de cesser de cogner. Je ne l'approche pas pour ça et d'ailleurs je n'ai probablement pas le droit de la laisser me faire cet effet-là. Alors pourquoi je passe une main sur ma nuque ? Comme si elle avait ce don de me décontenancer, ce même geste que je faisais il y a déjà un long moment de ça, quand, juste par hasard, son regard dans le couloir se posait sur moi.

Je râcle ma gorge et réajuste mon sweet, je n'ai pas le droit à l'erreur. Alors je me lève, fais quelques pas et m'assois, ne lui laissant pas le temps de parler. Je commande deux assiettes, en précisant de les remplir à ras bord de plats sucrés et salés que j'énumère, pour qu'on ait de quoi bien manger.

— J'aime bien cet endroit, le service y est sympa. J'espère que tu as faim, il va y en avoir au moins pour trois. Tu pourras prendre ton temps, je ne suis pas pressé et j'aime discuter.

Elle se fige et pâlit quelques secondes avant de se ressaisir. Elle plonge le nez au-dessus de sa tasse, inspirant la vapeur de son café, ses mains toujours collées à la paroi sûrement beaucoup moins chaude :

— Qui te dit que j'ai envie de parler ?

— Ce n'est pas un problème, je peux discuter pour nous deux. Mais bon, si de temps en temps tu voulais bien faire semblant d'écouter, ça m'aiderait un peu.

Je tente de capter son regard mais c'est comme si elle voulait éviter le mien. Pourtant je suis persuadé que de nous deux, c'est moi le plus troublé même si j'essaye de le dissimuler.

Je jette un coup d'œil à travers la vitre comme pour faire diversion. Quand nos plats arrivent, Joy essaye de ne pas montrer ce qu'elle ressent. Je sais qu'elle a compris, elle a compris que deux coïncidences en deux jours ça fait beaucoup. Le numéro du siège hier et cette commande aujourd'hui.

— Tu ne pourras pas toujours fuir ce qui s'impose en toi, crois-moi.

Cette fois, elle plisse les yeux, et sa mâchoire se contracte. Elle me fixe un instant :

— Je ne sais pas qui tu es, mais quelque chose me dit que plus loin de toi je me tiendrais et mieux ça ira.

Elle se lève et je ne peux pas m'en empêcher :

— Mieux que de dormir à même le béton gelé ? Mieux que de ne pas savoir ce que tu vas pouvoir manger ? Je t'offre le repas, il y a assez pour trois et...

— Je ne demande pas la charité, et je ne l'ai jamais demandé ! Va te faire foutre !

Un dernier regard, celui que je n'aime pas voir, je réveille sa douleur alors que ce n'est pas mon but. Quand elle franchit la porte en la claquant, je me lève et fait signe au serveur que je reviens.

Commence par tomber!Où les histoires vivent. Découvrez maintenant