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ASH
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Je suis dans les coulisses, Apollo Faces joue sur scène depuis plus de deux heures et cela fait presque autant de temps que je tente d'afficher une assurance que je suis loin de ressentir. Les bras croisés, les sourcils froncés, je lutte contre l'envie irrépressible de m'enfuir. Heureusement, Lucy est là et s'agrippe à mon bras. Je ne sais pas si elle le fait pour m'empêcher de disparaître ou pour se retenir de monter sur scène, mais elle serre si fort mon coude dans sa main que je suis certaine d'avoir la trace de ses doigts sur ma peau.

Les garçons se démènent devant nous : Jake et Liam sont dos à dos au milieu des planches et jouent comme si leur vie en dépendait. La tête renversée sur l'épaule de l'autre, ils fixent le plafond sans vraiment le voir, de grands sourires extatiques sur aux lèvres. Carter, lui, est tellement absorbé par son rythme qu'il ferme les yeux en secouant si énergiquement la tête que son front manque de heurter à plusieurs reprises l'une de ses cymbales. Quant à Jem, il  a encore perdu son t-shirt et est à genoux au bord de la scène, penché vers le public et serre des mains tendues.

Quelques instants plus tard, le noir revient sur scène et les quatre garçons disparaissent. Jem m'effleure la main en passant dans les coulisses et, toujours sous le coup de l'adrénaline dépose un baiser si rapide sur ma joue que je crois avoir rêvé. Ce sont les yeux écarquillés de Lucy qui me confirment que Jem vient bien de m'embrasser devant tout son staff. Étrangement, personne d'autre ne semble avoir rien remarqué. Il faut dire que tout le monde s'affaire à préparer le rappel et que visiblement personne ne parvient à remettre la main sur mon micro.

Mon estomac déjà au bord de l'explosion se contracte encore un peu plus et je lutte contre l'envie de me cacher derrière un rideau lorsqu'une femme en noir, micro-casque sur les oreilles,  s'approche de moi et allume le petit émetteur accroché à ma ceinture. Elle me demande ensuite d'ajuster les oreillettes qui pendaient jusqu'à présent autour de mon cou et règle la longueur du fil qui dépasse pour qu'on le distingue à peine sous mes cheveux. Une seconde plus tard, elle a de nouveau disparu dans la foule qui s'active dans les coulisses.

Jem réapparaît alors, une bouteille d'eau dans une main, une serviette éponge humide dans l'autre. Il a enfilé un débardeur large qui lui tombe au milieu des cuisses et laisse voir ses côtes. Le texte imprimé sur la face avant du vêtement, en lettres dégradées de bleu et rose, annonce fièrement le nom de son groupe. Je souris pour la première fois depuis un long moment et il me chuchote à l'oreille que tout va bien se passer.

Le public hurle de l'autre côté de la scène et les applaudissements se transforment rapidement en grondements d'impatience. Les « une autre, une autre, une autre ! » de la foule menacent de me faire perdre le peu de sang froid que je suis péniblement parvenue à conserver alors je prends une grande inspiration pour tenter de relâcher la pression. Mauvaise idée : la chaleur est si intense et l'odeur de transpiration plus prégnante encore que je manque de m'étouffer et tousse comme un fumeur de cigares cubains pendant une bonne dizaine de secondes. Je reprends à peine mon souffle qu'on me glisse mon micro malheureusement retrouvé entre les doits et que deux mains fermes me poussent sans ménagement sur la scène, toujours plongée dans la pénombre. Je glisse un peu sur le sol poisseux et jure entre mes dents serrées de pourrir celui qui a eu la brillante idée de balancer des bouteilles ouvertes dans le public depuis la scène.

La foule hurle lorsqu'elle perçoit du mouvement sur l'estrade qui lui fait face et je tressaille. Jem vient de placer devant moi, habitué à évoluer dans l'obscurité, et se penche jusqu'à ce que nos deux fronts se touchent. Ce contact dénoue un peu la pelote de mes nerfs. L'odeur de sa peau, chaude et enivrante, m'aide à me concentrer et, s'il n'y avait pas les hurlements du public qui enflent à mesure que les silhouettes des musiciens font trembler les ombres de la scène, je pourrais presque me croire de retour au studio avec pour seul juge le regard bleu incroyable de Jem.

As Yet Untitled [ᴇɴ ᴄᴏʀʀᴇᴄᴛɪᴏɴ]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant