As Yet Untitled [ᴇɴ ᴄᴏʀʀᴇᴄᴛɪᴏɴ]

-4-

ASH
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La nuit commence à tomber lorsque j'achève mon récit et que Lucy se retrouve à court de questions. Je me redresse et me lève. La chambre est si étroite que j'avais beau être assise sur mon lit et Lucy sur le sien, nos genoux se touchaient presque. Je ne sais pas comment nous sommes parvenues à faire tenir toutes nos affaires dans un si petit espace mais plus rien ne traîne dans les cartons entassés devant la porte.
— Où est-ce que tu vas ? interroge ma colocataire.
— Je pars à la conquête du campus ! je m'exclame en enfilant mes Dr Martens.
— Je peux venir avec toi ?
J'acquiesce et nous quittons notre minuscule chambre pour nous glisser dans le couloir.

L'air moite qui colle mes cheveux à mon visage n'est pas agréable du tout. La chaleur est étouffante en dépit de la nuit tombée mais j'en ai assez de rester enfermée alors je m'avance sous la lueur de la lune et me tourne vers la petite silhouette qui m'accompagne :
— Tu as eu le temps de découvrir les alentours ?
— À part les bâtiments de la FAC et la résidence, non, me répond Lucy avec une petite moue d'excuse.
Je hausse les épaules. Tant pis, on va marcher et on verra bien où ça nous mène.

Les rues sont illuminées et bondées en dépit de l'heure tardive. Des centaines de jeunes arpentent les rues en riant fort et les devantures des bars, elles aussi parées de néons rayonnants, sont dissimulées derrières les silhouettes des étudiants qui fument, un verre à la main. Lucy marche à mes cotés, les mains dans les poches, son petit nez retroussé. Elle accélère un peu et je lui emboîte le pas.
— Désolée, j'aime pas l'odeur de la fumée de cigarette, fait-elle.
— Pas de soucis.

Nous marchons encore quelques minutes en silence avant que les lumières d'un pavillon et la musique qui s'échappe des fenêtres ouvertes n'attirent mon attention. Le bâtiment est immense avec de grandes colonnes blanches qui soutiennent une corniche bien trop élégante. L'architecture est clairement inspirée des anciens temples antiques et je n'ai pas besoin de trouver les lettres grecques qui figurent sûrement sur l'une des façades pour comprendre que nous nous trouvons face à l'une des fameuses fraternités d'USF. Je m'approche un peu de la porte d'entrée grande ouverte.
— Qu'est-ce que tu fais ? interroge Lucy en me retenant par le bras.
— Je me joins à la fête.
Elle me dévisage comme si j'étais devenue folle.
— Mais tu ne peux pas faire ça. On n'est pas invitées !
Je souris et poursuis :
— Et bien on va s'inviter. Tu vas voir, ça va être cool ! Et puis on va peut-être rencontrer des gens sympas.
Je vois qu'elle hésite.
— Mais tu n'es pas obligée de venir, je m'empresse de nuancer, tu peux renter si tu veux.
— Toute seule ? Je préfère encore venir avec toi !
Alors je prends ma nouvelle amie par les épaules et l'entraîne vers le bâtiment, triomphante.

À l'intérieur, deux filles arborant un t-shirt rose sur lequel s'étalent les lettres Κ et Δ nous offrent deux gobelets rouges en nous invitant à nous amuser. À mes côtés, Lucy examine le contenu de son verre avec un œil méfiant tandis que je porte le mien à mes lèvres : de la bière.
Nous nous avançons prudemment à travers la foule compacte qui envahit chaque centimètre carré du pavillon. La musique se fait de plus en plus forte à mesure que nous nous faufilons entre les corps pressés les uns contre les autres. Lucy est agrippée à mon bras, comme si elle craignait que je ne disparaisse. Nous parvenons enfin à nous extraire de la masse et émergeons dans un vaste salon aux meubles imposants et tape-à-l'œil. C'est ici que la musique est la plus forte et des filles dansent en suivant le rythme, les bras levés et répandant le contenu de leurs verres autour d'elles. Lucy porte son gobelet à ses lèvres en cherchant des yeux un coin plus calme où elle pourrait m'attendre.
— Allez, lâche-toi ! lui soufflé-je à l'oreille.
Sur ces mots je me fraie un chemin vers la cuisine espérant y trouver quelque chose à avaler. Lorsque je me retourne Lucy est toujours sur mes talons mais cette fois son verre est vide.
— Tu as vraiment avalé tout ça d'un coup ? fais-je, surprise.
Elle acquiesce.
— T'es malade ! je constate. Mange au moins un truc, sinon ça va mal finir...
Encore une fois elle hoche la tête mais ne bouge pas. Je me dirige vers l'îlot central sur lequel sont posés divers récipients remplis de chips, m'empare de l'un d'eux et retourne auprès de Lucy. Je lui fourre le saladier sous le nez et elle y plonge sa petite main. Emportée par son élan elle renverse un peu du contenu de son verre par terre.
— Mais... qui est-ce qui t'a resservie ? je m'exclame, les yeux écarquillés.
Elle hausse les épaules en portant son verre à ses lèvres. Je ne pensais vraiment pas que Lucy était le genre de fille à boire autant...
— C'est bon ce truc, glousse-t-elle alors.
Je comprends soudain que Lucy n'a pas l'habitude de boire, qu'elle est bien la jeune fille insouciante que je pensais qu'elle était et qu'elle n'a pas vraiment conscience de ce qu'elle fait.
Merde.
Je m'empresse de chercher de quoi lui faire un sandwich pour éponger un peu tout ce qu'elle a déjà bu parceque, oui, ces foutus gobelets rouges sont vachement grands pour quelqu'un qui ne boit jamais. Seulement, lorsque je me retourne, le sandwich à la main, Lucy a disparu.
— C'est pas vrai ! lâché-je.
Je me précipite dans le salon à la recherche de mon amie. Heureusement elle n'a pas eu le temps d'aller bien loin et je la repère au milieu de la piste de danse. Elle semble un peu perdue alors je m'empresse d'aller à sa rescousse. Je lui fourre le sandwich entre les mains et la fais s'asseoir sur l'un des immenses sofas qui ont été repoussés contre les murs pour dégager assez d'espace pour les danseurs. Je regarde mon amie engloutir son sandwich sans un mot avec un soupir de soulagement. Finalement, cette soirée est plus agitée que ce que je m'étais imaginé. Quelque chose me dit que la vie avec Lucy risque de me réserver quelques petites surprises.