𝙲𝚑𝚊𝚙𝚒𝚝𝚛𝚎 𝚟𝚒𝚗𝚐𝚝-𝚍𝚎𝚞𝚡

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Chapitre vingt-deux.

Trois jours étaient passés, et Midoriya n'avait toujours pas de nouvelle de Todoroki. Des tâches violettes sur les jambes et un trou béant dans la poitrine, Midoriya était au plus bas. Il se sentait abandonné, trahi, trompé. Il échangeait avec Todoroki depuis des mois, et voilà qu'il coupait les ponts du jour au lendemain, sans explication, sans avertissement. Ça ne lui ressemblait pas de faire une chose pareil — Todoroki était franc, il ne lui aurait pas caché quelque chose d'aussi gros — mais Midoriya se détestait trop pour ne pas penser que s'il ne lui répondait plus, c'était simplement parce qu'il s'était lassé de lui.

Il rentra du lycée les yeux dans le vide, et se laissa tomber sur son lit tel un pantin inanimé, un jouet électronique dont les piles ne fonctionneraient plus. Shinso le survola sans même le regarder, Midoriya était persuadé qu'il commençait à se lasser, lui aussi.

Bien qu'il soit au fond du trou, il n'avait pas oublié son but. Bien qu'il ait la sensation de n'être qu'un mort ambulant, il avait fait l'effort de se rendre au Seven Eleven tous les soirs à trois heures du matin. C'était toujours le même constat : il était seul dans le magasin avec le caissier. Il se demandait s'il serait utile d'y retourner cette nuit en simple spectateur, ou s'il était temps de passer à l'action.

— Tu comptes le faire quand, ton braquage ? Parce que je commence sérieusement à m'ennuyer moi.

Midoriya n'avait pas besoin de l'entendre pour le savoir. Comme si on venait de changer les piles du jouet qu'il était, il se releva et sortit le cahier de la mort de son tiroir. Il l'ouvrit à la première page et se saisit d'un stylo.

— Ce soir.

— Hein ?

— Ce soir, je cambriole le Seven Eleven.

Il avait longtemps réfléchi à la façon dont il allait procéder. Comment il allait se servir du cahier pour obtenir ce qu'il désirait. Il s'était alors rappelé d'une règle particulièrement intéressante : il était possible de choisir l'heure de la mort, et surtout, la façon dont la personne allait décéder. Le plan était simple à écrire, mais beaucoup plus difficile à exécuter. Chaque seconde allait compter, et avoir un retard, ne serait-ce que minime, pourrait tout faire tomber à l'eau.

En-dessous de la ligne sur laquelle il avait failli tuer Kaminari, il écrivit ceci : « A trois heures vingt cinq du matin, Hizashi Yamada écrit le code de la caisse sur un post-it et le colle à l'écran d'ordinateur. Lorsqu'il aura dans son champs de vision un jeune homme portant une perruque blonde et une casquette, il sortira du magasin pour rentrer chez lui se suicider. » C'était écrit, Midoriya ne pourrait plus faire marche arrière.

Cet étudiant ne lui avait rien fait, mais Midoriya ne ressentait même pas une pointe de culpabilité en songeant qu'il avait tué un innocent. Il se trouvait au mauvais endroit au mauvais moment. De toute façon, quelqu'un devait bien y passer. C'était tombé sur lui, la faute à pas de chance.

Midoriya n'était plus qu'une coquille vide. Il n'avait plus été tabassé depuis trois jours, mais l'absence de Todoroki lui faisait plus mal que n'importe quel coup. La seule chose qui le faisait tenir était sa mère, qui s'épuisait encore et encore, et dont l'espérance de vie ne cessait d'amuser Shinso. Sans elle, Midoriya ne serait déjà plus là.

Ce soir encore, tandis qu'il apportait deux bols de riz fumants à table, sa mère avait des cernes plus noire que les siennes alors qu'il ne dormait pas plus de deux ou trois heures par nuit. Elle lui souriait, mais il sentait bien que ses sourires étaient étirés par l'habitude, de la même façon qu'il était animé par la routine. Ses sourires n'avaient pas plus de sens que ses yeux rivés vers le sol.

La scène était si pitoyable que Shinso ne put retenir le rire mesquin qui menaçait de sortir de sa gorge depuis qu'il avait rencontré madame Midoriya.

Midoriya n'avait même pas pris la peine de lui jeter un regard. Il s'était contenté de finir de manger, de débarrasser et de faire la vaisselle en conseillant à sa mère d'aller s'allonger. Il était ensuite remonté dans sa chambre, avait mis l'alarme de son réveil à deux heures cinquante du matin, et s'était avachi sur son lit. Le pantin était inanimé à nouveau.

Il s'éveilla en entendant son alarme sonner. Il l'éteignit, enfila son blouson, son pantalon large, ses fausses lunettes, sa perruque et sa casquette et mit un sac à dos sur ses épaules. Ce n'était pas celui avec lequel il allait en cours — celui-là était trop jaune et trop tape-à-l'œil — mais un vieux sac à dos militaire que son père avait laissé. Il plaça le cahier de la mort et un stylo à l'intérieur, au cas où le plan ne se déroulerait pas comme prévu.

— Enfin, les choses deviennent intéressantes, fit Shinso en passant à travers le mur de la chambre.

Son cœur ne battait pas plus fort que d'habitude. Il ne tremblait pas, ne voyait pas flou. Il n'en avait plus rien à faire, il était vide et ça lui convenait. Il prit le train jusqu'à la gare et marcha jusqu'au Seven Eleven les mains dans les poches. Il jeta un œil à son téléphone ; il était trois heures vingt six, il était dans les temps. Il souffla un grand coup, et pénétra dans le magasin.

Son cœur loupa un battement. Hizashi Yamada n'était pas là, une autre caissière avait pris sa place. Il sentit les tremblements s'emparer de son corps comme lorsqu'il arrivait devant le lycée, comme lorsque les chaussures de Bakugou apparaissaient dans son champ de vision.

— Bonsoir, bienvenu chez Seven Eleven ! lui lança-t-elle d'un ton plus enjoué que celui de Hizashi Yamada. Quelque chose ne va pas ?

Midoriya sursauta en l'entendant s'adresser à lui. Il devait réagir, ou elle allait avoir des soupçons. Surtout que le sac qu'il se trimballait évoquait clairement qu'il allait commettre un vol.

— Reprends-toi, souffla Shinso.

— Non, tout va bien merci ! Je me demandais simplement ce que j'allais acheter, j'hésite entre les mochi au thé vert et ceux aux haricots rouges, se reprit-il en dirigeant son regard vers le rayon du sucré.

— Personnellement, je prends toujours les daifuku fourrés à la fraise, je trouve que ce sont les meilleurs !

— Dans ce cas, je vais suivre votre conseil !

Midoriya ne savait pas d'où lui venait ce talent inopiné pour jouer la comédie, mais il lui sauvait la mise. Son plan avait coulé à l'eau avant même d'avoir pu être lancé, il allait devoir improviser s'il ne voulait pas que cette soirée soit un échec total.

Quand les faibles deviennent les fortsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant