𝙲𝚑𝚊𝚙𝚒𝚝𝚛𝚎 𝚜𝚒𝚡

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Chapitre six.

Le béton venait d'être remplacé par des pavés. Le doux parfum des cerisiers venaient d'être remplacé par l'odeur âcre de la cigarette. Ils venaient d'arriver dans la ruelle, théâtre de la violence qu'ils infligeaient à Midoriya.

Les représentations de ce spectacle avaient été tellement nombreuses que Midoriya ne tenait même plus le compte. Il s'abandonnait dans son rôle d'acteur et écoutait les répliques des autres figurants sans rien dire, comme s'il avait oublié son texte. Sauf qu'il n'avait pas de texte, il n'était qu'un simple martyr qui devait endurer leurs remarques jusqu'à la fin du premier acte.

En réalité, son harcèlement était surtout verbal. La première scène de cette pièce tragique consistait à le rabaisser avec des insultes. Dans la deuxième scène, ils le menaçaient. Dans la troisième, ils le bousculaient. Dans la quatrième, ils le forçaient à se mettre à terre. Il était rare qu'ils jouent la cinquième scène, mais ça arrivait, parfois. Dans ces cas-là, Midoriya se recroquevillait sur lui-même en subissant leurs coups.

Ils ne visaient que le ventre et les jambes, les parties du corps dissimulées derrière les vêtements. Bakugou était malin, il se doutait qu'il aurait rapidement des problème avec le lycée si ce qu'il faisait subir à Midoriya venait à se savoir. Son dossier scolaire était excellent, il était destiné à intégrer la meilleure université du pays. Il ne voulait pas risquer de l'entacher à cause de son mauvais comportement. Il savait qu'il terrorisait trop Midoriya pour que l'idée d'aller tout raconter à ses professeurs lui traversent l'esprit. Mais il préférait rester prudent.

Midoriya ne recevait donc des coups à titre exceptionnel uniquement. La majeure partie du temps, c'était parce que Bakugou avait passé une mauvaise journée. Quand il était contrarié et en colère, et qu'il lui fallait quelqu'un pour évacuer. Lui crier dessus l'aidait déjà beaucoup à se vider, mais il arrivait parfois que ça ne suffise pas. Dans ces cas-là, il en venait à la violence physique.

Midoriya avait remarqué un détail qui lui permettait de prévoir les coups pour se préparer mentalement. Quand ses Doc Martens étaient écartées de plus d'un pied de long, alors ça voulait dire qu'il était énervé et qu'il allait se défouler avec ses poings. En revanche, quand ses pieds étaient à quelques centimètres l'un de l'autre, alors il pouvait souffler en sachant qu'il ne recevrait pas de coups. Midoriya dirigea son regard entre les pavés pour jeter un œil à ses chaussures. Elles étaient proches l'une de l'autre, il ne subirait pas de violence physique aujourd'hui.

— Ça fait chier qu'on n'ait pas pu te voir hier, Midoriya. Tu nous as manqué !

Kaminari venait de démarrer les hostilités. Les mains de Midoriya se resserrèrent autour des bretelles de son sac à dos.

— C'est de votre faute aussi ! répliqua Ashido. Qu'est-ce que vous avez foutu hier ? On était prêts nous !

— C'est à cause d'une prof qui nous a pris la tête. Elle nous a vu passer devant la salle des profs et elle en a profité pour venir nous parler. Elle voulait pas nous lâcher, j'ai cru que Bakugou allait finir par la frapper tellement il en avait marre !

— Bref, de toute façon on n'a pas à se justifier, le coupa Bakugou. Les cours commence dans dix minutes, on ferait mieux de commencer maintenant.

— Je suis d'accord ! Faudrait pas oublier Midoriya quand même !

Les pavés se déformèrent lorsqu'il entendit son prénom. Il avait l'impression que ces pierres de forme rectangulaire s'étaient mises à tourner. Il ne pourrait pas y échapper, la pièce venait de commencer, et personne ne viendrait l'interrompre avant que le metteur en scène ne donne le signal pour arrêter la répétition.

— Relève la tête et arrête de fixer le sol, t'as vraiment l'air d'un faible.

Ça, c'était la provocation favorite de Sero. Le rabaisser avec des adjectifs dégradants. Lui rappeler qu'il leur était inférieur, qu'il ne valait pas mieux qu'un animal. Qu'il n'avait pas la force suffisante pour leur résister.

— Qu'est-ce que tu veux, les idiots ne changent pas.

Ça, c'était Ashido. Elle parlait toujours de lui à la troisième personne du singulier, elle faisait comme s'il n'était pas là. Comme si son existence était insignifiante et qu'il ne valait pas la peine qu'elle s'adresse directement à lui.

— C'est bien vrai ça ! T'es vraiment qu'une pauvre merde, hein !

Kaminari était le moins fin des trois. Il ne réfléchissait pas beaucoup et lui balançait au visage la première insulte qui lui passait par la tête. N'importe quel gros mot faisait l'affaire. Et Midoriya encaissait en silence. Il aurait voulu insulter Kaminari en retour, faire disparaître Ashido pour lui montrer ce que ça faisait d'être ignoré, frapper Sero pour lui prouver sa force. Mais il ne disait rien, ne bougeait pas. Parce qu'il savait qu'ils avaient raison, au fond. Il n'aurait jamais été pris pour cible s'il n'avait pas été aussi faible.

Kirishima ne parlait pas non plus. Comme d'habitude, même après avoir pris l'initiative de le protéger de la pluie et de le raccompagner jusqu'à chez lui, il n'avait pas le courage de prendre sa défense. Midoriya avait beau regarder par terre, il pouvait sentir son regard plein de pitié. Il ne lui infligeait pas de blessure, mais Midoriya le détestait, peut-être même plus encore que le reste de la bande qui le rabaissait. Ce regard le faisait se sentir encore plus misérable qu'il ne l'était déjà. Il aurait voulu lui crever les yeux.

— Tu ferais mieux de te suicider, t'aurais jamais du naître de toute façon. Si t'étais qu'un nerd, ça irait encore. Mais les pédés dans ton genre me dégoûte au plus haut point.

A côté de Bakugou, ce que pouvait lui dire le reste de la bande sonnait comme un générique de dessin animé pour enfant. De toutes les insultes qu'il entendait, de toutes les critiques qu'il recevait, celles de Bakugou étaient les pires. C'étaient celles qui lui faisaient le plus mal, celles dont il se souvenait le soir dans son lit, celles qui lui faisait se demander pourquoi il était toujours en vie. Il lui rappelait qu'il serait mieux dans une tombe, et que le monde rejetterait toujours ses inclinations.

Les pavés se mélangeaient avec ses larmes.

Quand les faibles deviennent les fortsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant