Chapitre neuf.
Une semaine avait passé, et Midoriya se retrouvait au milieu des pavés à hurler de douleur. Un nouveau coup de pied venait de lui atterrir dans le tibia. La vision brouillée de larmes, il observait tout ce qui était à la portée de son regard. Il rasait le sol dans l'espérance de trouver son petit point auquel se raccrocher. Déjà, les mégots ne feraient pas l'affaire, il y en avait trop, il ne savait pas lequel regarder. C'était la ruelle que choisissait souvent les lycéens pour aller fumer loin des caméras de surveillance du lycée.
Les quelques brins d'herbe ne feraient pas davantage l'affaire. Ils étaient trop versatiles, trop aériens. Le moindre coup de vent les faisait se tortiller. Il lui fallait un point d'encrage pour s'oublier, un point fixe, comme le cahier sur lequel il venait de poser ses yeux. Il ne savait pas trop ce que ce carnet noir faisait là, abandonné par terre au milieu des pavés, mais il remercia intérieurement la personne qui l'avait oublié ici.
Il se concentra de toute ses forces sur ce nouveau point. Il sentait toujours les coups de Bakugou, la douleur qui se répandait dans tout son corps, le goût du sang dans sa bouche, mais c'était un peu plus supportable, désormais. Juste un peu plus.
Ce soir, Bakugou ne lui avait pas dit pourquoi il avait droit à une raclée. D'habitude, il prenait au moins la peine de lui dévoiler la source de sa colère. Une mauvaise note, un prof qui lui avait pris la tête, une dispute avec ses parents. Là, il avait juste eu le temps de voir ses Doc Martens s'écarter d'une bonne trentaine de centimètres avant de voir fondre sur lui un premier coup de pied. En tout cas, il avait l'air sacrément remonté. Midoriya ne voyait pas son expression faciale, mais vu la puissance de ses coups, il lui était arrivé quelque chose qui l'avait particulièrement énervé.
— Putain !
Dans un dernier hurlement de rage, Bakugou envoya son pied dans le ventre de Midoriya qui roula un mètre plus loin. Il était désormais sur le dos, le visage sali par la terre entre les pavés. Le ciel n'était plus très bleu, mais pas tout à fait gris non plus. Il vit un oiseau voler au dessus d'un nuage, et il se surprit à tendre la main vers lui, comme s'il voulait l'attraper, comme s'il voulait le rejoindre.
— Crève.
Sur ce dernier mot, Midoriya put entendre le pas de ses tyrans s'éloigner. Il entendit le claquement des talons d'Ashido, l'hésitation dans la façon de marcher des tennis rouges. Il avait l'impression que tous les sons étaient amplifiés, jusqu'à ce que sa tête se mette à bourdonner. L'oiseau venait de disparaître, et il ressentit soudainement toute la douleur qui lui brûlait les jambes et qui lui déchirait l'abdomen.
Il mit du temps avant de se décider à bouger. Il remua d'abord le bout de ses doigts qui gardaient encore quelques cicatrices, puis ses orteils, avant de remettre en activité le reste de son corps. Il se releva péniblement, il peinait à se stabiliser sur ses deux pieds. Il faillit vaciller en ramassant son sac qui avait volé un peu plus loin. Il longea les murs, prenant pour appui tout ce qui pouvait lui servir pour ne pas tomber. Encore une fois, les pavés avaient été tâchés de son sang.
Puis, son regard dévia sur ce point noir qui l'avait aidé à oublier un peu sa douleur. Ses jambes menacèrent de le lâcher à nouveau lorsqu'il se baissa pour le ramasser. Il l'épousseta avant de lire ce qui était inscrit dessus : « Cahier de la mort». Un curieux nom pour un carnet qui semblait tout à fait banal à première vue. Il le rangea dans son sac.
Tandis qu'il sortait de la ruelle, la main contre le mur, il bascula en avant en butant contre un pavé mal posé, mais fut rattrapé in extremis par les bras de Kirishima qui venait d'arriver.
— C'est vraiment horrible, ce qu'il t'a fait, dit-il, la voix tremblante de culpabilité. Je vais te raccompagner jusqu'à chez toi. Laisse-moi au moins pouvoir faire ça pour toi.
Midoriya hocha la tête au bout de quelques secondes. De toute façon, il n'était pas vraiment en position de refuser.
Quand il était seul avec les tennis rouges, sa fréquence cardiaque était plus calme que lorsqu'il était avec Bottines noires ou Sneakers Nike. Il tremblait moins, aussi. Il savait que Kirishima n'allait pas lui faire de mal. Néanmoins, ce n'est pas pour autant qu'il lui accordait sa confiance. Il était moins violent que les autres, certes. Mais au fond, il était pareil qu'eux. Trop humain pour le frapper lui-même, trop monstrueux pour ne pas prendre de plaisir à le voir se recroqueviller au sol en l'implorant.
Kirishima lui tendit son bras, que Midoriya accepta sans un mot. Ils quittèrent alors les pavés pour retrouver le béton, puis les cailloux blancs. Lorsque Midoriya put s'agripper à son portail, Kirishima se décida enfin à le lâcher. Ses tennis rouges piétinaient, il voulait dire quelque chose mais ne savait pas comment le formuler. Midoriya ne chercha pas à l'aider, et rentra aussi vite qu'il le put dans son jardin avant de fermer son portail derrière lui.
— Je sais bien que ce qu'ils te font est atroce, commença-t-il en voyant Midoriya s'éloigner. Mais il faut les comprendre, aucun d'eux n'a la vie facile... On a tous nos problèmes et te prendre comme souffre-douleur, c'est un peu leur moyen de penser à autre chose, de rendre leur vie un peu plus supportable en évacuant sur toi. Tu sais, Ashido est anorexique. Kaminari est dyslexique. Sero est orphelin. Et Bakugou... Bakugou est...
— Un homo refoulé, acheva Midoriya. Et moi, je suis un sale petit pédé abandonné par son père qui aide sa mère tous les jours parce qu'elle se tue au travail pour payer les dettes que ce connard nous a laissé. Mais c'est pas pour autant que je vais me venger sur un pauvre gars qui n'a rien demandé. Alors tes jolis discours, t'es gentil mais tu te les gardes. Je sais que tout ce que tu fais pour moi est une sorte d'exutoire, que tu cherches mon pardon pour te déculpabiliser. Mais en ce qui me concerne, tu es comme les autres. Vous pourriez bien crever dans un caniveau, ça ne me ferait ni chaud ni froid.
Les jambes de Kirishima se mirent à trembler. Midoriya claqua la porte derrière lui, sans un regard en arrière.
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Quand les faibles deviennent les forts
FanfictionTous les jours, Midoriya suit la même routine. La tête baissée et la peur au ventre, il se rend au lycée où il se fait harceler. Tous les jours, la même scène semble se répéter comme une boucle intemporelle : il se fait entraîner dans la ruelle d'à...