Chapitre 6

16 4 0
                                    

Mon frère marchait à grandes enjambées, nous distançant à chaque foulée un peu plus que la précédente.

- Attends-nous, Alex ! le sommai-je en allongeant le pas.

- Tu peux toujours courir, Madinette, balança-t-il par-dessus son épaule.

- T'as fini avec ce surnom ridicule ? ronchonnai-je.

- Ah ! bah ! tu vois comme c'est pénible les surnoms grotesques ! se moqua Pénélope en insistant sur le dernier mot.

Je l'ignorai volontairement et redemandai à notre frère de nous attendre. Il n'en fit qu'à sa tête et rétorqua qu'il ne ralentirait pas sous peine de rater la séance.

- Triple-buse ! Triquebalarideau ! l'insulta copieusement Pénélope. Tu ne sais donc pas qu'ils mettent toujours une tripotée de pubs avant le film, petit imbécile ?

- Je veux voir les bandes annonces qu'ils passeront, expliqua-t-il, sans prendre ombrage des injures de notre grande-sœur, étant habitué à ses éclats.

- Mais quel chieur ! râla-t-elle à l'entente de sa justification.

De mon côté, je souriais simplement, admirant leur capacité à être passés au-dessus de la mort de nos parents. Ils avaient poursuivi leur chemin, avaient grandi et mûri, accompli certains de leurs rêves, sans pour autant les oublier. Je savais que Pénélope avait une photo d'eux en fond d'écran et qu'Alexandre écoutait en boucle, et sans jamais se lasser, la même musique. C'était une mazurka sur laquelle papa et maman adoraient danser les soirs où ils branchaient la chaîne hi-fi après nous avoir mis au lit. Invariablement, on se relevait en silence pour les regarder évoluer dans le salon, assis dans les marches de l'escalier, le visage appuyé entre les barreaux de la rambarde en bois.

Quinze minutes plus tard, nous arrivâmes au cinéma. On entra et paya nos places avant de nous rendre dans la salle aux murs tapissés de noir et aux lampes ajourées. Le confort des fauteuils rouges m'appelait et je me laissai tout bonnement tomber dans l'un d'eux, au beau milieu d'une rangée. Peu de monde peuplait la salle, ce qui nous permettrait de rire sans frein et commenter les scènes sans discrétion aucune.

Au bout d'une heure cinquante de film, nous sortîmes de la salle et, sous la lumière crue, je titubai jusqu'à rétablir mon équilibre. Alexandre se fendit la poire en me regardant évoluer maladroitement, comme un môme apprenant à marcher, dans le hall du cinéma. Mais qu'il aille au diable ! m'exaspérai-je. Le karma m'entendit-il ? Toujours est-il qu'il le récompensa à sa juste valeur.

Je vis mon frère reculer en direction d'une plante verte imposante en se tenant les côtes de rire. Et ce qui devait arriver, arriva. Sous mon regard sarcastique et le cri strident de Pénélope, Alexandre trébucha et s'étala de tout son long sur le sol carrelé. Il se releva bien vite en frottant son pantalon et sortit du cinéma accompagné des « Ça va ? » inquiets de notre sœur.

Nous allâmes dans un parc paisible de la ville où on déambula, un beignet au chocolat chacun à la main. On s'assit un moment près du petit lac, sur un banc miraculeusement épargné par les déjections des pigeons. On parla du film mais aussi des métiers de mon frère et ma sœur, de leurs amis et des tracasseries du quotidien.

- Maude, tu t'es décidée à propos du voyage en Savoie ? s'enquit Pénélope alors que je prenais soin d'éluder la moindre de leurs questions.

Je me crispai aussitôt sur le banc et fixai un point à l'horizon bouché par les arbres presque en totalité dépouillés de leur parure.

- Je... je... j'ai accepté, balbutiai-je dans un murmure quasiment inaudible.

- Je te félicite, frangine ! répondit-elle. Tu vas voir, je suis sûre que ça va te faire un bien fou ! Tu vas enfin pouvoir aller de l'avant, ce n'est pas possible de rester éternellement dans le passé, à se morfondre et se flage... Aïe ! cria-t-elle. Qu'est-ce qui te prends, Alex ?

Quand l'espoir se meurt - Chauve-sourisOù les histoires vivent. Découvrez maintenant