Chapitre 9

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Étienne baissa les yeux sur ses chaussures et enfonça les poings dans les poches de son pantalon.

- C'est toi, celle qui détient la clef de mon cœur, murmura-t-il.

Son aveu me sidéra et je restai statique, incapable de m'exprimer ou me mouvoir. Il releva la tête mais les traits de son visage étaient en grande partie avalés par la pénombre car il tournait le dos à la baie vitrée. Pourtant, l'intensité de son regard bleu marine, balayé par un espoir douloureux, me lessiva les entrailles. Pourquoi, mon dieu ? Qu'avais-je fait pour être l'oiseau de mauvais augure ? J'avais l'impression de faire partie des héros des mythes grecs aux destinées tortueuses et aux choix cornéliens.

- Étienne, je...

- Chut. Ne dis rien, me coupa-t-il avec douceur.

Soudain, je le sentis à quelques centimètres de moi. Je n'eus pas le temps de réfléchir que ses lèvres effleuraient délicatement les miennes.

- Pardon, chuchota Étienne d'un timbre éteint au creux de mon oreille.

Je secouai la tête de droite à gauche, glissai mes bras autour de sa taille et appuyai mon front contre son torse puissant. Je n'avais plus de force et si je ne m'étais pas raccrochée à lui, je me serais effondrée à genoux sur le sol gelé, démolie par ce sentiment auquel je ne pouvais répondre par l'affirmative.

- Non, c'est moi qui m'excuse, contrai-je. Je ne suis à la hauteur de personne. Tu mérites tellement d'être heureux. Hélas, c'est de moi que dépend ton bonheur. Je me sens affreuse, mon cher poète.

Étienne ne répondit pas, se contentant de resserrer mon étreinte, le menton logé sur le haut de mon crâne.

- Oublions ça, chauve-souris, c'était pas d'une importance capitale. Les sentiments sont aussi éternels que la flamme d'une bougie. Il suffit de souffler dessus pour qu'elle s'éteigne sans espoir de briller à nouveau.

- Tu oublies les bougies magiques, elles s'enflamment sans aide extérieure après avoir été allumées une premières fois, soulignai-je dans un sourire amer.

- Parle pas de malheur.

Mes yeux se mirent à picoter sans interruption. Cette sensation dura longtemps mais finit par se calmer jusqu'à s'envoler. Au bout de plusieurs minutes, je m'écartai de mon ami et levai mon regard vers lui, ne sachant quoi faire, quoi dire.

- Tu penses qu'un jour, on saura faire les choses simplement, sans complications ? m'enquis-je.

- J'espère, répondit-il. Viens, rentrons avant qu'on se transforme en glaçons, ajouta-t-il en me tirant par la main.

Réfugiée dans ma chambre, je montai le son du poste de radio jusqu'à ne plus m'entendre penser. Dans cette bulle emplie de musiques rythmées, entêtantes et envoûtantes, je laissai mon corps osciller sur place tandis que mon cerveau la mettait enfin en veilleuse devant mon refus évident de l'écouter gamberger pendant des heures. Mes mains, mon buste, puis tout le reste de mon anatomie se mirent en branle, dessinant des arabesques dans l'air. Paupières closes, je me sentais happée par les sons harmonieux ; la paix envahissait mon épiderme avant de, petit à petit, s'écouler dans mes veines jusqu'à mon cœur.

- Maude ! Maudeuhh ! Le son, crénom ! Baisse le son ! râlèrent Judith et Laurie de concert.

Leurs réclamations ne m'atteignaient pas. Ce ne fut que quand la dernière musique s'évanouit et que le silence retomba sur mes épaules que mes oreilles se remirent à percevoir et entendre. J'avais repris pied dans la réalité du moment que mon esprit avait quitté momentanément.

- Maude, s'il te plaît, un peu de respect pour les autres ! renchérit Marc.

Cette sommation me fit sortir entièrement de mon état second proche de la transe. Mes yeux s'entrouvrirent dans la pénombre de la pièce que seule la lumière bleutée du poste éclairait. La radio réduite au silence, je restai plantée là au milieu de mon antre, bras ballants. J'étais vide d'émotions.

Quand l'espoir se meurt - Chauve-sourisOù les histoires vivent. Découvrez maintenant