Chapitre 28

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« Nous espérons que tout se passe au mieux. N'hésite pas à nous appeler. Nous t'embrassons. Christelle et Marc »

Aussitôt que je vis ce message des Vulpair, je leur écrivis un bref texto pour les rassurer et les remercier d'avoir insisté pour que je retourne en Savoie. Je rempochai ensuite mon téléphone et m'approchai de la maison que j'observais depuis un bon quart d'heure. Il était vingt heures trente, les lampadaires éclairaient les rues et le froid piquait les joues, les fenêtres aux volets encore ouverts diffusaient leur douce lumière.

Nous étions mardi soir, j'avais tergiversé toute la journée sur le fait de revoir ou non les cousins. Déjà que je n'avais pas eu le courage de renfiler des skis et dévaler les pistes couvertes de neige artificielle, avais-je pensé une demi-heure plus tôt, je pouvais bien faire l'effort de sonner chez eux.

Une sonnerie plus tard, la porte d'entrée s'ouvrit sur un jeune garçon. Je reconnus dans ses traits encore poupins mon petit cousin. Il avait la peau claire, les iris bleu de cobalt tachetés de marron, de belles boucles d'un brun très foncé et des épais sourcils. Il avait gardé sa silhouette boulotte et le sourire de sa mère. La dernière fois qu'on s'était vu, il devait avoir six ou sept ans. Se souvient-il de moi ? me demandai-je à la vue de ses sourcils froncés.

— Bonsoir Max, embrayai-je. Je ne sais pas si tu te rappelles de moi, je suis ta cousine Maude.

— Bah si j'me rappelle de toi, Momo ! rétorqua-t-il en m'ouvrant les bras. Fallait juste que je te remette.

Je le laissai m'étreindre, émue par sa simplicité, et frottai maladroitement son dos. Quand on s'écarta l'un de l'autre, Maximilien me tira par la main à l'intérieur et appela ses parents et sa sœur à grands cris. C'était une coutume de notre famille, mais sûrement de bien d'autres, celle de crier sans se déplacer. Mon regard se posait partout et tout faisait écho à mes souvenirs. L'escalier branlant qui couinait de douleur chaque fois qu'on le montait, les tableaux se succédant dans le couloir, les tapisseries d'un autre âge, la flambée dans la cheminée au fond noirci surmontée de la collection de petites voitures anciennes de Tamila, la console à l'entrée et le portemanteau croulant sous les vêtements, le lustre de la salle à manger qui détonait avec le reste de la déco soignée mais simple, le vieux fauteuil aux accoudoirs tout abîmés – le tissu en lambeau laissé paraître les crins de cheval formant le molletonné –, les innombrables tapis importés d'Algérie, l'armoire où était entreposée la belle vaisselle datant du mariage de tante Clo et oncle Idir et leur collection de vinyles, les postes de radio éparpillés dans tous les coins de la maison – aucune télévision n'avait jamais envahi cette maison.

— Maude ! s'écria une voix féminine alto.

Je pivotai brusquement et souris en regardant ma cousine débouler de l'étage du dessus dans un boucan fabuleux. Sa chambre revêt-elle encore la trace de nos pieds sales sur les murs lorsque nous nous amusions à faire la chandelle ? m'interrogeai-je. Est-ce que la guirlande de fleurs magenta de son papier peint est restée intacte ? D'autres gribouillis et dessins sur feuille se sont-ils ajoutés sur son pan de mur ?

Tamila s'avança, les bras écartés, la bouche souriante dévoilant sa dentition. Elle avait bien changé depuis le temps, mais le marron de ses yeux restait le même, son port altier aussi. Elle qui me parlait de chirurgie esthétique dès le plus jeune âge à cause de son nez crochu de méchant des films avait l'air d'avoir repoussé le projet à plus tard. On se prit dans les bras en riant, heureuses de nous revoir. Puis, elle se recula et me jaugea, admirant ma coupe à la garçonne, mes prunelles et mon teint, se moqua gentiment de la robustesse de mes mains due à des escalades de murs régulières et compara nos tailles à l'arrache.

— J'suis toujours plus grande que toi ! jubila-t-elle en sautillant. Ah ! Tu m'as manqué, ma p'tite Maude !

Dans son dos, les parents de mes cousins arrivèrent à leur tour, après avoir refermé la petite porte donnant sur le jardin. Je me rappelais qu'ils aimaient discuter de longues heures dehors, sur un banc, serrés l'un contre l'autre l'hiver, ou en jardinant dans le potager l'été. Leurs expressions ébahies voulaient tout dire, mais elles furent vite balayées par des sourires. L'émotion faisait briller leur regard. Ils me saluèrent tous les deux par un câlin comme leurs enfants.

Quand l'espoir se meurt - Chauve-sourisOù les histoires vivent. Découvrez maintenant