Chapitre 18

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Le soir du Nouvel An, je prévins Marc et Christelle que j'allais retrouver un ami, puis troquai mes habits de tous les jours pour une robe noire évasée et une paire de mocassin noirs, eux aussi. Je pris la peine de me maquiller en empruntant dans les affaires de Judith et accrochai des boucles d'oreille que m'avait un jour offert ma sœur. Au moment de partir, je passai à mon poignet le cadeau de Côme, enfilai mon long manteau d'hiver et le bonnet de mon grand ami. Je gagnai l'appentis, un pack de bières sous le bras, l'arrimai à mon porte-bagage à l'aide de tendeurs et grimpai sur mon vélo. J'arrivai à notre QG une bonne vingtaine de minutes plus tard.

De la lumière filtrait de dessous la porte où nous avions l'habitude de nous rejoindre. Je la poussai doucement. Ma bouche s'arrondit de surprise et mes yeux s'écarquillèrent d'émerveillement. Sébastien avait refait la décoration de l'endroit en noir et or chaleureux. Les murs crasseux disparaissaient sous des banderoles de « Bonne année ! », des ballons en forme d'étoiles et de bouteille de champagne regorgeaient d'un porte-parapluie en cuivre, le sol était couvert de cotillons et de confettis, l'antique fauteuil éventré s'était paré d'un châle chamarré et faisait face à un autre que je n'avais encore jamais vu. La table, à moitié dévorée par les capricornes des maisons, s'était apprêtée d'une nappe blanche. Il y reposait une bouteille de rosé d'Anjou et une autre de champagne, un plateau de toasts au foie gras avec soit une noisette de confiture de figues soit du confit d'oignons, ainsi qu'un saladier de feuilletés à la saucisse et des bols de bâtonnets de carottes et des morceaux de chou-fleur à tremper dans les accompagnements. J'en salivais d'avance !

— Sébastien ? T'es là ? demandai-je en posant dans un coin mon fardeau.

— Oui ! J'arrive tout de suite ! cria-t-il d'une pièce attenante.

Il apparut deux coupes de champagne à la main, un sourire gargantuesque sur ses traits.

— Tu ne devineras jamais !

— Quoi donc ?

— Le frigo fonctionne ! Après quelques bidouillages et c'est reparti !

— Quoi ? Mais comment t'as fait ? m'exclamai-je, estomaquée.

— Un professionnel ne révèle jamais ses secrets, sourit-il énigmatiquement. Plus sérieusement, ça sert d'avoir un père dans le conseil municipal.

— Pardon ? T'as corrompu ton propre père ?

— Je n'voyais pas les choses comme ça, s'amusa Sébastien. Je parlerais plutôt d'arrangement. D'ailleurs, j'ai une mauvaise nouvelle, Maude...

À sa grimace, je compris que ce n'était pas une blague. Je l'encourageai du regard.

— Pour que nous ayons de nouveau l'électricité, il a soumis le projet de réhabiliter ce vieux bâtiment au maire. Ça a été accepté et grandement approuvé. On va devoir déménager nos quartiers.

Je restai pétrifiée sur place, ne m'attendant absolument pas à cette dramatique nouvelle. Où nous retrouverions nous désormais ?

— Pardonne-moi, s'te plaît, bredouilla Sébastien en me voyant toujours sans réaction.

Je pris une inspiration, puis soufflai :

— Bah oui, gros bêta ! Et puis, ce n'est pas si mal que ça reprenne vie par ici, non ?

Il acquiesça vigoureusement de la tête, apparemment ravi que je ne lui jette pas de tomates à la figure.

— J'ai une idée de là où on pourrait s'installer ! s'écria Sébastien.

— Où ça ?

— Dans la maison abandonnée de la clairière.

Un début de sourire s'esquissa sur mes lèvres.

— Ce serait très chouette, même si c'est beaucoup plus loin de Dijon, pour le coup.

— C'est pas un problème, ça.

On échangea un coup d'œil complice.

— Alors, on le trinque cet adieu et ce nouveau départ ? s'enquit mon ami en remplissant abondamment de champagne nos coupes.

— Évidement !

Toujours debout, nous entrechoquâmes nos verres avec joie. En savourant le goût de l'alcool, je posai une nouvelle fois mon regard admiratif sur la décoration sublime.

— Tu aurais dû me demander de l'aide, dis-je.

— J'avais besoin de le faire tout seul parce que c'est de ma responsabilité si nous partons d'ici.

Je hochai la tête, compréhensive, et lui souris. Sébastien m'invita théâtralement à prendre place dans le siège éventré et je m'exécutai en riant. De son côté, il mit de la musique en fond sonore et s'assit à son tour. D'une main gourmande, je piochai un toast, mordis dedans et soupirai de plaisir tant c'était bon.

— Il faudra penser à notre déménagement. On a jusqu'à quand pour le faire ? demandai-je.

— Papa est déterminé, il a une multitude d'idées pour cet endroit, il a donc prévu le commencement des travaux mi-janvier, le temps de trouver les entrepreneurs et compagnie.

— D'accord. Le mieux serait de le faire dans les prochains jours.

Sébastien acquiesça du menton en engloutissant un bout de chou-fleur. Un soupir s'échappa de ma bouche, j'étais triste de quitter ces lieux.

— Je suis dans le même état que toi, glissa mon ami en devinant ce qui me traversait l'esprit. Je suis désolé.

— Arrête de t'excuser, ce qui est fait est fait. Et puis, cette magnifique soirée en perspective grâce à toi est comme le chant du cygne. On part en beauté.

— Pas faux.

Les minutes s'écoulèrent, les heures s'égrenèrent. Au fur et à mesure, les plats se vidaient de leur contenu. Bientôt minuit, constatai-je en regardant mon portable.

— Dans quatre minutes ! bondit Sébastien. T'es prête ?

— Plus que jamais, souris-je.

Une minute plus tard, le jeune homme tenait encore moins en place.

— J'aimerais voir la lune au moment fatidique, lança-t-il.

Sans attendre de réponse, il se releva comme un ressort, alla prendre sa caisse à outils cachée quelque part et s'attaqua aux planches cloutées à la fenêtre depuis très, très longtemps. Elles ne résistèrent pas à la pression et l'ardeur que Sébastien mettait à l'ouvrage. La clarté argentée tomba dans la pièce et se mêla à la lumière tamisée des diverses lampes aux abats-jours chatoyants. Sébastien dégagea les planches, puis vint me prendre par la main. Ensemble, on s'approcha de la fenêtre et nous observâmes les secondes toucher au but.

— Plus que quinze secondes ! criai-je, gagnée par l'excitation.

À minuit pile, en même temps que le refrain de L'aventurier repartait de plus belle, nous poussâmes un cri de joie à l'unisson et nous nous prîmes dans les bras.

— Bonne année, Séb ! Qu'elle soit pleine de surprises, de nouvelles aventures, de bonheur et d'amour.

— Toi aussi, Maude, toi aussi !

On refit solennellement notre serment de nous porter secours en toute circonstance, de ne jamais ô grand jamais nous fâcher gravement et de nous aimer d'un amour fraternel perpétuel.

— On trinque encore ?

— Je dirai même plus : on trinque encore ! s'esclaffa Sébastien.

Les bords de nos verres cognèrent l'un contre l'autre. Et tandis que minuit déroulait ses soixante minutes, mon ami m'entraîna dans une danse sans fin. Entre deux chansons, on soufflait en buvant un coup et en mangeant quelques profiteroles que Sébastien avait pris soin de sortir du frigidaire. Les papillotes attendraient que le soleil soit levé pour être dégustées.

Les paupières lourdes de sommeil, je finis par m'avachir dans un des fauteuils et m'assoupir. Je sentis à peine que mon grand ami me recouvrait d'une couverture.

Quand l'espoir se meurt - Chauve-sourisOù les histoires vivent. Découvrez maintenant