Chapitre 20

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Quelques semaines s'étaient écoulées depuis l'épisode dramatique. Laurie ne se souvenait que très peu de ce qu'il s'était produit, étant abrutie par des litres d'alcool – elle avait frôlé le coma éthylique cette nuit-là – et continuait d'agir comme s'il ne lui était rien arrivé de grave. Elle était toujours aussi désagréable et renfrognée, elle ne parlait qu'en aboyant, ne mangeait que parce que les Vulpair insistaient lourdement, ne s'habillait que de façon provocante... Plus personne n'osait lui adresser la parole de peur de se faire mordre. Même moi, je m'arrangeais pour ne jamais avoir à lui demander un service. Je ne comprenais pas ce qui avait pu se produire pour qu'elle se conduise de cette manière ; un gravier s'était logé dans l'engrenage et avait fait vrillé tout le système. Je me demandais tous les jours, en passant devant sa porte, si elle finirait par parler de ce qui la rongeait si fortement.

En parlant du loup, je la regardai décamper de la maison en catimini. Elle était vêtue de sa sempiternelle veste très longue à franges et sans manches – style hippie – ; en dessous, elle portait une chemise blanche ample, nouée sur le devant, à l'échancrure plongeante ainsi qu'un mini short noir avec des collants semi-opaques qui disparaissaient dans des cuissardes noires. Son cou était orné d'un pendentif, ses lèvres étaient rouge grenat et ses yeux plus ténébreux que de coutume ; quant à ses cheveux, elle les avait laissés libres comme l'air. Un sourire fugace illumina mes traits. Je la trouvais belle, même si elle restait bien jeune pour porter ce genre de vêtements selon moi, mais elle l'aurait été d'autant plus si je n'entrevoyais pas derrière cette carapace de jeune rebelle le fendillement de son assurance, sa fragilité encore plus prégnante qu'avant.

J'étais installée sur le rebord d'une fenêtre du salon, les genoux remontés contre ma poitrine, essayant de réviser la Physique-chimie mais la noctambule m'avait distraite. Une fois de plus, Laurie découcherait et ne reviendrait qu'à l'aube naissante. Une fois de plus, elle balancerait une de ses chaussures ou un caillou contre ma fenêtre pour que je lui ouvre. Heureusement pour elle que je ne partais jamais en excursion nocturne jusqu'au bout de la nuit ! Secouant la tête pour chasser ces pensées parasites, je me reconcentrai sur mes révisions.

Dix minutes, plus tard, soit seize heures trente et des poussières, n'arrivant plus à rien, j'abandonnai et chopai mon téléphone que j'avais perdu quelque part dans la demeure, afin de ne pas être tentée de perdre mon temps sur les réseaux. J'avais reçu un message de Sébastien il y avait plus de deux heures.

« T'es dispo quand pour l'aménagement dans la vieille bicoque ? »

« Tout de suite, j'ai besoin de me détendre. »

« Nickel ! On se retrouve chez moi. À toute ! »

Je répondis par un pouce en l'air et partis prévenir Christelle. Cela fait, j'enfourchai mon vélo et pédalai le plus vite possible dans le soleil déclinant lentement à l'Ouest, au milieu des nuages chassés par la bise glacée. Il habitait dans le quartier Montchapet, presque au cœur de Dijon dont le centre-ville historique était bien conservé. À chaque fois que j'y passais, j'admirais l'architecture à colombages, les couleurs éclatantes, les grandes places entourées de bâtiments anciens, les jets d'eau l'été, les terrasses des multiples café-tabacs et restaurants qui réduisaient l'espace de déambulation mais rendaient le tout plus festif et convivial...

J'atteignis enfin l'un des quartiers chics de Dijon et il ne me fallut pas longtemps pour rallier la maison de Sébastien, située au début du quartier, près du centre-ville. Je sonnai chez lui et patientai en observant les alentours. Je venais rarement – c'est pourquoi son père ne m'avait jamais rencontrée avant le déménagement, surtout qu'il n'était pas présent lors de mes visites – et c'était toujours un régal pour les yeux. Les demeures huppées donnaient envie de toutes les découvrir, les jardins parfaitement entretenus, luxuriants ou discrets, les belles voitures que je ne pourrais certainement jamais m'offrir... Soudain, une tête blonde, perchée sur un muret de l'autre côté de la rue, m'intrigua. J'étais persuadée de connaître cette silhouette. Et quelle silhouette ! m'exclamai-je en pensée. Côme, bien sûr ! C'était une évidence qu'il vive dans les environs. En effet, la grande partie des élèves de mon lycée habitait soit à Montchapet, soit à la Toison d'or, soit au Port du canal ou encore au Parc-Chevreul – les quartiers les plus chics de la ville. Je n'eus pas le temps de disparaître de sa vue que Côme – il devait avoir un œil de lynx surpuissant – me repéra.

Quand l'espoir se meurt - Chauve-sourisOù les histoires vivent. Découvrez maintenant