La semaine en Savoie s'achevait aujourd'hui et, contre toute attente, j'en avais le cœur serré. Nous repartions vers treize heures, après le pique-nique qui nous réunirait tous une dernière fois avant de lever le camp pour plus de trois heures de route, direction Dijon.
De tout le voyage, je n'avais pas eu l'audace de renfiler une paire de ski ; je sentais que ça se transformerait en regret sitôt assise dans le car. À la place, j'avais apprivoisé mon chagrin, renié et écrasé ma culpabilité, reconquis les innombrables souvenirs avec papa et maman qui s'étaient inscrits dans ce paysage tant aimé, dans ce village et ses rues. Une seule chose restait à accomplir avant de partir, mais le courage me manquait.
Je faisais les cent pas devant le petit cimetière clos de murs en pierre dont la grille était grande ouverte. À bout de nerfs, j'attrapai mon téléphone et composai le numéro du blondinet. Les sonneries s'égrenèrent. Je crus qu'il ne décrocherait jamais, mais à l'ultime bip, une voix masculine retentit au bout du fil.
— Enfin tu réponds ! m'écriai-je, soulagée.
— Qu'est-ce qui t'arrive, Maude ?
— Je... heu... comment dire ? réfléchis-je, mal à l'aise. J'aimerais... heu... aller sur la tombe de mes parents, mais je n'y arriverai pas toute seule. Tu veux bien m'accompagner, s'il te plaît ?
— Sur la tombe de tes parents ?
— Oui, ils ont été enterrés ici. Je n'y suis encore jamais allée, c'est un peu intimidant et douloureux.
— Tu y es, là ?
J'acquiesçai ; Côme me dit de l'attendre et coupa la conversation. Dix minutes plus tard, la silhouette du jeune homme se profilait dans mon champ de vision. Il se stoppa à ma hauteur, me lança un regard réconfortant et me présenta son bras. Alors, je glissai le mien autour du sien et me serrai contre lui comme si ça avait le pouvoir de m'enrober de détermination et de force. On avança à pas tranquille afin de scruter chaque plaque dans l'espoir de tomber sur le caveau parental.
De longues minutes s'étaient écoulées depuis que nous étions entrés dans le champ du repos de la commune savoyarde lorsqu'une légère pression sur mon avant-bras me fit instantanément comprendre que mon ami avait trouvé ce que nous cherchions. Je tournai la tête dans la direction qu'il me désignait du doigt.
C'était une tombe sans ostentation. Un simple marbre gris anthracite, décoré d'un crucifix et des médaillons des membres de ma famille reposant dans des cercueils. Mes parents sommeillaient éternellement aux côtés de mes grands-parents maternels que je n'avais pas eu le bonheur de connaître. Eux aussi étaient morts de façon tragique, mais dans un accident de la route pour leur part. Comme quoi, c'est de famille de mourir dans d'atroces souffrances, pensai-je avec cynisme.
— Tu veux que je te laisse ? murmura Côme.
— Non, pas la peine. Je ne sais même pas quoi dire, soufflai-je, embarrassée. Je ressentais juste le besoin de me rendre sur leur tombe, au moins une fois.
— Dis-leur que tu les aimes, qu'ils te manquent, que tu as rencontré des gens géniaux, que...
— C'est de toi que tu parles par « gens géniaux » ? relevai-je sur un ton moqueur.
— Entre autre.
Son sourire orgueilleux me fit rire silencieusement – il ne s'agissait pas de se mettre à dos le syndic des morts ! J'appuyai le côté droit de ma tête contre l'épaule du jeune homme, puis chuchotai de façon à ce qu'il ne perçoive pas ce que je pouvais bien raconter à ma famille qui mangeait les pissenlits par la racine. Comme Côme l'avait suggéré un peu plus tôt, je leur déclarais qu'ils me manquaient terriblement, que la vie sans eux me paraissait fade, sans importance, mais que j'avais compris que ça ne servait à rien de me punir, car je n'étais pas coupable de leur brusque départ. Je leur confiais – cette fois par la pensée – mes déboires amoureux avec Etienne, mon incapacité à l'aimer autrement que comme un frère, l'impression bizarre qui s'imposait à moi quand mes yeux étaient plantés dans ceux de Côme, l'envie d'aider ce dernier et sa sœur comme pour me racheter une conscience, mon absence de projet professionnel, mes retrouvailles loupées avec Tamila. J'avais un soudain besoin de tout avouer afin de m'alléger pour mieux respirer. Tout garder en moi me pesait.
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Quand l'espoir se meurt - Chauve-souris
Ficción GeneralLorsqu'une avalanche balaye tout sur son passage, vies humaines charriées comme fétus de paille, ne reste plus que les remords, ses yeux pour pleurer et sa voix pour se mourir en silence. Maude, dix-sept ans, a perdu sa joie de vivre, son souffle de...