Lundi matin
À l'entrée du lycée, mon regard trouva celui de Sébastien. Quand nous fûmes à la même hauteur, on se salua d'une bise et on échangea quelques paroles avant de rejoindre nos salles respectives - celle de Physique-chimie pour moi et d'Arts plastiques pour lui, là où chaque talent, qu'il soit caché ou déjà développé, pouvait s'exprimer librement. Parfois, il m'arrivait de regretter de ne pas avoir pris cette option en Première ; à la place, j'avais pris Maths renforcé. J'étais en S, lui en L dans la même classe qu'Étienne.
En attendant le professeur, je sortis le livre de John Fante de mon sac et m'assis à même le sol. Des rires haut-perchés et des perfidies me firent lever la tête. Fichtre ! Les deux pestes de la classe ! rouspétai-je. Floriane de Carlinois - blonde cendrée à l'iris camel doré, la silhouette élancée, le geste gracieux malgré un léger boitillement et le sourire millimétré - et Anna Jacquart - longue chevelure de miel ramenée en queue de cheval retenue par un chouchou, prunelles de jade, adepte du rose, le nez proéminent et les paupières un peu tombantes - se faisaient remarquer en gloussant et cancanant plus fort que tout le monde, pour changer. Enfin, pour dire vrai, c'était plus Anna qui s'amusait à être aussi bruyante ; Floriane, elle, pianotait sur son téléphone de ses ongles longs en se contentant de lâcher quelques mots et rires par-ci par-là.
La seconde sonnerie retentit. Je rangeai ma lecture avant de me lever en voyant l'enseignant apparaître au bout du couloir. J'aimais la physique mais ce type était tellement irascible et lunatique que j'en venais à redouter cette matière et à prier pour ne pas avoir cours.
Il déverrouilla la porte, puis nous fit entrer en nous saluant du bout des lèvres. Joyeux... Ça allait être long. Je partis m'installer au fond et posai la tête dans le creux de mes bras afin de poursuivre ma nuit écourtée par un sommeil erratique. Tout ça à cause de cette stupide décision. Je la regrettais déjà.
- Mademoiselle Linard, nous sommes en cours ! C'était cette nuit qu'il fallait dormir ! m'enguirlanda monsieur Gimperes.
Des ricanements raisonnèrent dans la classe à cette semonce digne de ce professeur et je rougis de honte. Les deux garces s'étaient tournées vers moi et me narguaient du premier rang. Ce qu'elles peuvent être prévisibles dans leur débilité, râlai-je intérieurement.
- Mesdemoiselles Jacquart et de Carlinois, retournez-vous, les rappela-t-on à l'ordre.
Les concernées pivotèrent immédiatement sur elles-mêmes. Mais, au lieu de se tenir coites le reste du cours, Anna s'amusa à singer monsieur Gimperes dès qu'il avait le dos tourné, faisant pouffer de rire la galerie, et Floriane fit les yeux doux à un camarade timide qu'elle souhaitait ardemment débaucher, très certainement.
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En fin de matinée, j'avais cours de Maths avec un de mes professeurs principaux. À peine installée et les affaires tirées de mon sac que cette dernière embraya sans préambule, après avoir dit « bonjour » à l'ensemble de la classe :
- S'il vous plaît, merci de me rendre vos feuilles d'inscription pour le voyage en Savoie, même pour ceux et celles qui n'iront pas.
Ces derniers mots m'étaient explicitement adressés car il n'y avait que moi pour refuser sans relâche d'y participer. Sauf que cette année ferait exception à la règle.
Madame Barbery passa dans les rangs pour récupérer les fiches. Lorsqu'elle arriva à ma hauteur, elle ne put s'empêcher de faire un geste impatient en voyant la lenteur avec laquelle je lui tendais la feuille. Mais, quand elle s'aperçut que rien ne rayait le paragraphe du bas de la page, un éclair d'étonnement traversa ses prunelles sombres. Elle ne fit pourtant aucun commentaire et posa la feuille sur le haut de la pile alors que j'aurais voulu la déchiqueter et la brûler en place publique.
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Quand l'espoir se meurt - Chauve-souris
General FictionLorsqu'une avalanche balaye tout sur son passage, vies humaines charriées comme fétus de paille, ne reste plus que les remords, ses yeux pour pleurer et sa voix pour se mourir en silence. Maude, dix-sept ans, a perdu sa joie de vivre, son souffle de...