Une semaine plus tard...
On entrerait bientôt en février. Avec ce mois, les vacances d'hiver fourniraient leur lot de gens contents, de glissades dans la neige des montagnes ou plus sûrement artificielle, de cris de joie à la veille des congés, de prévisions sur son emploi du temps et l'organisation de l'alternance : passer du bon temps et travail scolaire. Toute la semaine, j'avais ruminé mes angoisses. Je ne dormais plus qu'une heure ou deux par nuit et entraînais Séb dans des excursions nocturnes interminables.
Jeudi soir, à notre point de rendez-vous, au lieu de partir aussitôt à l'assaut des murs de la ville, mon ami avait posé des paumes fermes sur mes épaules et un regard grave et scrutateur sur mon visage.
— Maude, dis-moi ce qu'il se trame dans ta tête, dans ta vie. On n'a jamais enchaîné autant de sorties en semaine qu'en ce moment, avait-il dit après un long silence.
— C'est grisant, non ?
— Je suis sérieux, Maude, et je suis inquiet.
— Tu ne devrais pas, je suis plus solide qu'il n'y paraît, avais-je rétorqué, bravache.
— Ce n'est pas la question. Je le sais que tu es robuste.
— Alors quoi ?
— Tu crois que je suis aveugle ? Je vois très bien que ça ne va pas : tes cernes sont sans fin, tu as le teint chiffonné et les yeux perdus dans le vague la plupart du temps. C'est par rapport au voyage en Savoie, n'est-ce pas ? La dernière et unique fois que j'ai abordé le sujet, tu as fait une crise d'angoisse.
Un profond soupir avait fuité de ma bouche. Pourquoi fallait-il qu'il soit aussi perspicace et attentif à ma personne ?
— C'est compliqué...
— C'était pas la peine de le préciser, je l'avais compris par moi-même.
Face à mon air buté, Sébastien avait soupiré bruyamment mais rendu les armes et nous étions partis en direction du nouvel endroit qui avait enthousiasmé le jeune homme quand il l'avait découvert par hasard. Pourtant, sa morosité avait gelé mon envie d'explorer les recoins saugrenus de mon imagination. L'éternel tourbillon de culpabilité-regrets-remords-fureur m'avait assombri l'esprit ; mes poings s'étaient resserrés brutalement sur les bretelles de mon sac à dos ; ma respiration était devenue dangereusement sifflante. Avec application, je m'étais évertuée à retrouver mon calme. Lorsqu'enfin j'y étais parvenue, mes yeux s'étaient rivés à ceux de Sébastien. Sans que je m'en fusse aperçue, il s'était rapproché de moi. Avec douceur, ses mains avaient attrapé mes bras pour me tirer contre lui. J'avais abandonné ma tête sur son épaule, épuisée autant moralement que physiquement par cette lutte qui durait en moi depuis huit longues années.
Cette nuit-là, j'avais bien failli tout lui avouer ; j'avais été à deux doigts de craquer. La voix que j'entendais au fond de moi se faisait de plus en plus pressante au point de perdre de sa tendresse ; elle m'était devenue insupportable et oppressante et terrifiante. Pour ne rien arranger, mes cauchemars s'étaient intensifiés. Dormir n'était plus une option. Ce soir encore, je ne me sentais pas en grande forme. J'avais l'impression de me heurter continuellement aux barreaux de ma prison intérieure et l'envie de hurler pour évacuer la pression me talonnait de plus en plus. Il arriverait un jour où je ne pourrai plus me taire, où ce sera devenu tellement difficile et dur que ma langue se délierait d'elle-même pour crier à mon inconscience et à mon égoïsme meurtriers. Je rêvais de plus en plus souvent d'une épaule sur laquelle m'épancher ; il y avait bien celle d'Étienne, à qui j'avais naturellement confié mon passé et inversement, mais tout était devenu étrange avec lui. Je secouai vivement la tête, une main tenant le battant de mon armoire et l'autre plantée à ma taille, pour me reconcentrer sur les impératifs du moment. Je ne savais pas quoi enfiler pour cette première soirée mondaine. Que m'a-t-il pris d'accepter son invitation ? m'interrogeai-je pour la millième fois en l'espace d'une heure.
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Quand l'espoir se meurt - Chauve-souris
General FictionLorsqu'une avalanche balaye tout sur son passage, vies humaines charriées comme fétus de paille, ne reste plus que les remords, ses yeux pour pleurer et sa voix pour se mourir en silence. Maude, dix-sept ans, a perdu sa joie de vivre, son souffle de...