Cela faisait trois jours que février avait succédé au mois de janvier, soit plus d'une semaine que Côme ne m'adressait plus la parole et faisait comme si je n'avais jamais existé à ses yeux. Son attitude me blessait, mais je ne pouvais aller contre sa décision parce que je le comprenais. Comment réagirais-je si quelqu'un se permettait de me donner des conseils évidents sur mon problème de deuil ? À mon avis, extrêmement mal. Il n'empêche que sa sœur ne l'avait pas pris du tout de la même manière que lui. Elle ne s'était pas braquée et l'avait perçu comme un soutien, ce qui était mon intention. La preuve : Angèle s'était procurée mon numéro de téléphone auprès de Laurie. Les deux filles étaient dans la même classe cette année et elles semblaient bien s'entendre, bien que leur rapprochement soit tout récent. On échangeait tous les jours par message et Angèle me tannait pour revenir un de ces jours chez eux, peu importe si Côme serait là ou non.
Un profond soupir s'échappa de ma gorge. J'étais allongée sur mon lit, mains croisées sur le ventre et regard fixant le plafond noyé dans l'ombre. Tout le monde dormait dans la maison, même Laurie qui commençait tout doucement à réduire ses sorties nocturnes. À vrai dire, elle n'était pas la seule ; moi aussi, j'avais calmé le jeu. Ne serait-ce que pour Sébastien qui n'avait pas à endurer des nuits sans sommeil à cause de moi, sachant que c'était un gros dormeur et que ses dix heures de dodo était essentielles à sa bonne humeur. Alors, je restais couchée à attendre que mes longues insomnies passent. De temps en temps, je lisais, j'écoutais de la musique très bas ou je gribouillais des esquisses de futurs tags sur des feuilles d'imprimante ; il m'arrivait aussi très souvent de songer à mon entourage comme à l'instant. Je me repassais la soirée mondaine des Jacob en boucle, essayant, en vain, de savoir ce que j'aurais pu dire qui aurait maintenu le dialogue avec le jeune homme. Peut-être que ma seule chance, c'est le voyage en Savoie, pensai-je tout à coup. Si je lui balance la vérité sur « l'énigme Maude », il s'ouvrira probablement de nouveau. Mais non, tu dis n'importe quoi ! me rabrouai-je. Hors de question de le mettre dans la confidence. Le risque est trop grand qu'il me considère comme sa mère : un monstre ! Et pourtant...
Ces réflexions hallucinantes avaient excité mon pauvre cerveau ; il frétillait d'idées et d'impatience à l'idée d'exécuter ce plan bancal. Je me mis à arpenter ma chambre, le dos un peu voûté, mon menton coincé entre le pouce et l'index, l'autre main soutenant mon coude. De temps à autre, je relevais la tête, me stoppais une seconde, puis reprenais mes allées et venues. Alors que ce voyage me terrorisait depuis la rentrée, je l'attendais de pied ferme, dorénavant ! Je projetais quelles affaires prendre, me faisais une liste mentale pour ne rien oublier d'essentiel comme ma trousse de toilette ou des serviettes hygiéniques au cas où.
Soudain, quelqu'un frappa doucement à ma porte. Je pilai brusquement, atterris sur terre et me rendis compte de l'heure qu'il était - c'est-à-dire quatre du matin et des poussières. Avec mes piétinements, j'avais dû réveiller un habitant de la demeure. Je partis ouvrir alors que la personne insistait. C'était Etienne, ce qui ne m'étonna qu'à moitié.
- Entre.
Il se glissa dans l'entrebâillement et m'adressa un sourire timide.
- Je t'ai réveillé ? m'enquis-je.
- Nullement. J'écrivais.
- Je t'ai dérangé dans ton processus d'écriture alors ? Je suis désolée, si c'est le cas.
- Non plus, sourit Etienne de plus belle. Tes pas rythmaient mes pensées que je jetais sur le papier, c'était très agréable.
- Alors quoi ?
- Rien de spécial. Je me disais juste qu'entre insomniaques, on pouvait se serrer les coudes.
- Mais encore ?
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Quand l'espoir se meurt - Chauve-souris
Ficção GeralLorsqu'une avalanche balaye tout sur son passage, vies humaines charriées comme fétus de paille, ne reste plus que les remords, ses yeux pour pleurer et sa voix pour se mourir en silence. Maude, dix-sept ans, a perdu sa joie de vivre, son souffle de...