Chapitre 1

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Quelque part en Savoie

— Maman ! Papa !

Mes cris ricochaient entre les montagnes dominant le paysage. J'avais froid. Mes mains et mes pieds étaient glacés et mes membres tremblaient convulsivement. Je me déplaçai avec difficulté jusqu'à l'endroit où mes parents avaient disparu, engloutis par la neige. Trébuchant, je m'étalai la tête la première. Je relevai mon visage couvert de neige et la retirai à l'aide de mes manches avant de m'appuyer sur mes gants mouillés pour me lever. Les derniers mètres avalés en manquant de chuter à plusieurs reprises, je me laissai tomber à genoux et grattai la neige de mes paumes fébriles, la repoussant au loin. Mais les minutes passèrent et toujours aucune trace de mes chers parents ne vint me soutenir.

Soudain, un bruit d'hélicoptère me fit lever le nez. Il se posa dans un boucan d'enfer et des secouristes en sortirent, se précipitant vers moi. Cette scène tenait de l'irréel. Quelque chose se brisa à l'intérieur de mon cœur et comme la brume qui se lève, je réalisai ce qu'il s'était passé un peu plus tôt.

Un énorme bruit retentit dans le silence ouaté, interrompant la discussion animée que j'avais avec mes parents. Mon père leva la tête et ses traits se figèrent dans l'horreur.

À couvert ! nous ordonna-t-il.

Ne songeant pas même à protester, j'obéis promptement en me déportant sur la droite. Des secondes plus tard, une masse importante de neige déferla droit sur nous, emportant d'autres plaques de glace avec elle. J'entendis mes parents crier de terreur et les vis disparaître sous des mètres de neige. Un hurlement sortit de ma bouche. Je voulus les rattraper, mais mon corps n'obtempéra pas et je restai prostrée ce qui me parut une éternité.

Dans ce silence terrible qui m'entourait à présent, une seule pensée me traversa l'esprit : « Je ne reverrai jamais mes chers parents ». Maman ne me fera plus de câlins, papa ne me lira plus jamais d'histoires avant que je ne dorme. Je sombrai dans l'inconscience.

*******

— Elle revient à elle !

— Maude ? Maude ! appela une voix familière.

J'ouvris les paupières. Ma vue était brouillée et je ne voyais que vaguement deux visages aux traits infantiles penchés sur moi. Enfin, je les reconnus : Pénélope et Alexandre.

— Ça va ? s'inquiéta ma sœur en voyant mon regard perdu.

— Papa et maman..., ils ne reviendront pas, lâchai-je, atone.

— Ne dis pas ça. Les secours vont les retrouver, objecta Alexandre en tentant de se rassurer lui-même.

Je secouai la tête négativement avant de la laisser retomber dans l'oreiller, le regard fixé sur la neige voltigeant sans discontinuer au-dehors, sans égard pour ma peine immense et ma culpabilité qui me rongeait déjà le coeur, se sustentant de mes sentiments les plus noirs jusqu'à satiété. Mais arriverait-elle un jour à être rassasiée ?

*******

Quelques jours plus tard...

Nous étions chez nos grands-parents quand la police nous apprit qu'ils avaient retrouvé nos parents mais bien trop tard. Pénélope pleura à chaudes larmes dans les bras de notre tante ; Alexandre hurla que c'était impossible et tapa de toutes ses forces un mur jusqu'à sangloter, la tête appuyée contre le chambranle de la porte ; et moi, mes yeux restèrent secs, ils me piquaient mais les larmes ne vinrent pas. Je restai dans mon coin sur le canapé, murée dans un silence sans fond. Un éclair venait de me foudroyer sur place. Une citation se mit à briller dans le noir qui m'entourait : « Deux ans pour apprendre à parler, toute une vie pour apprendre à se taire. ». Elle deviendrait ma devise.

Nous étions devenus brusquement orphelins alors que rien ne nous y préparait. J'avais neuf ans. J'avais encore besoin de mes parents pour grandir et m'épanouir et la vie me les avait enlevés sans prévenir. Je ne me faisais pas de souci pour mon aînée. À quinze ans, ma sœur savait déjà ce qu'elle voulait faire de sa vie, elle était forte, avait de l'énergie à revendre et possédait la capacité enviable de toujours trouver une solution à ses problèmes. Mais mon frère, malgré les airs de cador qu'il affectait depuis qu'il avait douze ans, il n'en menait pas large certaines fois et était bien content, alors, d'avoir papa ou maman pour le dépêtrer de ses imbécilités. Comment allait-il faire ? Comment allions-nous faire ? On allait grandir d'un coup, Alex et moi, alors que j'aurais voulu garder un peu de mon insouciance quelques années de plus.

— Souvenons-nous des paroles de la poétesse britannique, Christina Rosetti. Elle écrivait en son temps : « Mieux vaut cent fois pour toi oublier et sourire/Plutôt que de t'attrister dans le souvenir. ».

Le timbre altéré de mon oncle me parvint atténué à travers la ouate qui comblaient mes oreilles. Oublier et sourire, plutôt qu'être triste. Facile à dire, pensai-je.


Quand l'espoir se meurt - Chauve-sourisOù les histoires vivent. Découvrez maintenant