Onze heures et quelques, pensai-je en consultant ma montre. Il serait temps d'aller faire les courses. J'enfilai mon manteau dans lequel je glissai l'enveloppe, puis empruntai des sacs en tissu pendus à une patère en guise de sacs de courses. Je m'apprêtais à quitter les lieux lorsqu'une pensée me traversa l'esprit.
— Que dois-je acheter, au juste ? Et pas possible de joindre la prof... Ah si ! Je crois qu'elle a noté son numéro sur une feuille tout à l'heure.
Je me mis à fouiller du regard les différentes pièces du rez-de-chaussée jusqu'à tomber sur le papier, posé en évidence sur la console en bois rustique de l'entrée, à côté d'une soucoupe où reposaient les clefs du chalet. Je levai les yeux au ciel me traitant d'idiote et d'aveugle. Remise de ma « cécité » momentanée, je rentrai les chiffres dans mon portable et appelai madame Weber.
— Oui, allô ?
— C'est Maude Linard. Excusez-moi de vous déranger. C'est à propos des courses. Vous ne m'avez pas précisé ce qu'il fallait que j'achète.
— Désolée, je n'y ai pas pensé sur le coup. Je vais essayer de te la dire de tête, d'accord ? Bon, il nous faut : un pack de lait, une dizaine de baguettes, deux boîtes d'œufs, ensuite... des poireaux, un potiron et une citrouille, une botte de carottes, un chou pommé, du fromage – ceux que tu veux, de préférence de la région –, des épinards, deux packs de yaourts nature. Mmh... quoi d'autre ? Ah ! Des pommes et des clémentines, du chocolat en poudre et en morceaux, de la crème fraîche, des lardons, de l'escalope de dinde et des steaks hachés et aussi des pommes de terre, des oignons, sel et poivre, huile et vinaigre, quelques navets, des endives et des betteraves. Je crois que c'est déjà bien assez ! Si jamais, il manque quoi que ce soit, on y retournera, ce n'est pas un problème. Quant à tout ce qui est éponges, PQ et tout le matos pour rendre la maison propre comme un sous neuf, c'est normalement fourni gratuitement.
J'avais tout noté sur une feuille par précaution. Je remerciai ensuite l'enseignante et raccrochai avant de me saisir de deux autres sacs au vu de la longueur de la liste. La demi-heure suivante, je la passai dans les rayons de la supérette, à la boulangerie et la boucherie du coin. Tous ces endroits, je les connaissais par cœur ; j'aurais pu les retrouver les yeux fermés. Je ne peux compter le nombre de fois où nous nous étions rendus à la boulange afin de dépenser notre argent de poche en pâtisseries et bonbecs, en plus des baguettes de pain croustillantes pour lesquelles on y avait été envoyé, mais aussi au petit commerce pour se fournir en glaces l'été venu, biscuits apéritifs et boissons sucrées. Avec la boucherie-charcuterie, nous n'entretenions pas le même rapport, c'était souvent parce qu'on avait été missionné par tante Clo. Il n'empêche que je me souvenais nettement d'Alex ajouter à la commande quelques extras payés de sa poche, étant féru de charcuterie. Après nos achats dans le dos des parents, on filait à l'anglaise dans les hauteurs par beau temps en été. On y passait nos journées entières, à grignoter notre pitance déséquilibrée, armés de plusieurs jeux de cartes, du poste de radio portatif appartenant à ma sœur et de grands chapeaux de soleil. C'était le bon temps ! pensai-je avec nostalgie. Tout dans cette petite commune savoyarde me rappelait cette époque bénie où je riais à gorge déployée, faisais des crasses à ma sœur qui se prenait pour la reine mère du fait de son aînesse sur nous tous, organisais des grands jeux avec les jeunes du bled, montais des expéditions imaginaires dans un monde fantastique grâce aux déguisements amassés dans le grand coffre du grenier chez nos cousins ou bataillais contre mon frère et ma cousine avec des épées en bois, une passoire en guise de casque et, pour cape, un drap défraîchi... L'odeur des gâteaux à l'anis que confectionnait oncle Idir parfuma l'air quelques secondes avant de se diluer dans le vent. Puis, celle de la bière typique de cette région remonta de mes souvenirs et se mêla à la liqueur de génépi que ma mère aimait particulièrement. Tant de souvenirs savoureux et colorés...
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Quand l'espoir se meurt - Chauve-souris
General FictionLorsqu'une avalanche balaye tout sur son passage, vies humaines charriées comme fétus de paille, ne reste plus que les remords, ses yeux pour pleurer et sa voix pour se mourir en silence. Maude, dix-sept ans, a perdu sa joie de vivre, son souffle de...