Chapitre 10

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   Il était maintenant quelques jours de cela depuis que Neven et Helena ne s'étaient plus adressés la parole. Elle en profitait pour passer plus de temps avec Télio. Au cours d'une baignade dans l'étang, il se livrait à elle.

TELIO : Je suis quelqu'un de silencieux, n'est-ce pas?

HELENA : Oui, ton caractère te permet de n'avoir aucune vanité, ce pour quoi nous te sommes tous reconnaissants, tu dois bien être le seul, même les professeurs ici sont d'un orgueil infernal.

Télio amorça un léger sourire pour éprouver sa gratitude, cependant, Helena perçut une tristesse derrière ce sourire. Elle l'en questionna, inquiète.

TELIO : Sais-tu pourquoi je fus accepté ici, au lycée?

HELENA : Car ton niveau te le permet?

TELIO : Pas uniquement. Je ne t'ai jamais parlé de ma famille, n'est-ce pas?

HELENA : Souvent, il peut s'avérer qu'elles sont sujets conflictuelles, j'ai conclus que sûrement tu en avais parlé avec Mathilde, tu es plus proche d'elle.

TELIO : Je me suis émancipé. Tu sais, j'ai fait une demande à un juge, elle a été acceptée.

Helena resta sans voix. L'émancipation était un cas extrêmement rare de conflits familiaux graves, pour lequel un motif réellement valable devait entrer en vigueur. Les parents peuvent agréer, comme ils peuvent refuser, bien que leur décision n'influait pas le procédé.

TELIO : Les miens ont accepté. C'était l'année dernière, à mes seize ans. J'ai une sœur, Eva, elle a huit ans.

Le regard d'Helena trahissait une vividité sans pareille et un besoin d'en savoir plus.

TELIO : Malgré nos années d'écart, Eva et moi avons toujours été très proches. Je me suis toujours occupé d'elle. J'avais une mère, ainsi qu'un père, mais la situation dans laquelle ils étaient leur était défavorable, bien sûr, dû à leur pauvreté, mais une jeune fille si petite n'est pas à laisser seule.

HELENA : Seule? Si tes parents étaient là, comment cela?

TELIO : J'étais proche de mon père, aussi. Il était un guide pour moi, il a toujours été présent. Ma mère, un peu moins, elle lui laissait l'éducation d'Eva et moi, mais nous nous en contentions tous. Un jour, il a eu un grave accident de train, le sien est entré en collision avec un autre, de marchandises. Il y eut quelques dizaines de blessés et de morts, mon père a eu droit au coma. Il fait maintenant trois ans que cette situation dure, il est constamment branché sur des machines, une perfusion au bras et les yeux clos.

HELENA : Et ta mère?

TELIO : Elle commença à boire quelques verres le soir où elle apprit la situation de mon père. Et depuis elle ne s'est jamais arrêtée. J'ai posé ma demande d'émancipation une semaine après mon anniversaire des seize ans, cette situation m'assommait et me rendait fou. Je regardais ma mère se ruiner la vie, tandis que celle de mon père était déjà perdue. Oh, je lui en veux tant, si tu savais, Helena, je lui en veux tant. Elle n'a rien fait pour s'occuper d'Eva, passant nuits et jours ivre morte. J'ai tout fait pour que les services sociaux extirpent ma petite sœur de là. Au même moment, je passais les examens d'admission ici. Comme une délivrance, Eva fût prise en charge dans une famille d'accueil, et je reçus les résultats positifs de l'admission. Tout semblait me sourire.

HELENA : Je suis désolée, Télio, je suis si heureuse que ta situation soit réglée...

TELIO : Mon père s'est réveillé, Helena.

HELENA : Que-

TELIO : J'ai reçu une lettre, quelques jours auparavant, d'Eva. L'orthographe était presque indéchiffrable, mais j'ai compris l'essentiel. Ce genre de miracle médical n'arrive jamais.

HELENA : Qu'en est-il de l'émancipation?

TELIO : Je ne sais pas. Elle en reste la même, mais je ne suis pas certain de la réaction de mon père.

Court silence.

HELENA : Pourquoi me raconter tout cela?

TELIO : Je te fais confiance. Aussi, je veux te montrer que tu n'es pas seule et que tu peux me parler, c'est pourquoi je l'ai fait d'abord.

HELENA : Merci.

TELIO : Peut-être qu'un jour, quand tes études de médecine seront achevées, tu m'expliqueras pourquoi il s'est réveillé.

Ils rirent.

TELIO : Je m'absenterais l'espace d'une semaine pour voir Eva et savoir ce qu'il adviendra de l'émancipation.

L'horizon pointait doucement, l'heure devenait tardive, il était temps de rentrer. En sortant de l'eau, elle secoua ses cheveux noirs pour en extirper l'excédent d'eau, et revêtit son pull-over par-dessus son chemisier trempé. Tous deux s'avançaient vers l'entrée des tourelles, qui menait directement aux salles communales, quand Helena aperçut une silhouette assise sur un banc. La lumière du jour était encore suffisamment claire pour distinguer une larme brillante couler le long de la joue d'Aurore, dont le regard était rivé, comme tous les soirs, vers ce spectacle rosé qu'elle avait l'habitude de venir contempler. Helena fut prise d'une compassion à l'égard de cette jeune femme. Que cachait son masque joyeux, qu'elle revêtait toujours ? Pourquoi ces larmes? Et pourquoi les cacher derrière un visage d'ordinaire si jovial et souriant? L'empathie qu'Helena ressentit à ce moment-là lui fit regretter ses pensées sur Aurore, qu'elle voyait pleurer, et elle se vit désolée. Chaque personne a une raison de cacher une tristesse, Télio venait de le lui apprendre, mais elle aurait douté de la véracité de ces dires concernant Aurore et sa joie d'habitude si animée et si réelle...

Car je vous aimeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant