Chapitre 16

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ANNA BENNET : Tout commença ce sept février 1974.

Assises l'une en face de l'autre à la table de bois de la salle à manger, Helena et sa mère redoutaient chacune vivement le récit que s'apprêtait à narrer cette dernière. Une peur de briser sa fille et de l'éloigner à jamais d'elle planait au dessus de la tête d'Anna. Et, sans même le réaliser, Helena émettait de légers tremblements à la fois de malaise et peut-être tout de même d'excitation, comme un enfant qui ouvrirait ses cadeaux tant attendus le soir de Noël, Helena s'était accrochée à cette vérité éloignée qu'elle avait recherché.

ANNA : Tout d'abord, je vais t'exposer cela. Je t'ai toujours dit que je n'avais jamais atteint ces études de droit que je désirais tant.

Helena hocha lentement la tête, en attente de ce qu'elle craignait.

ANNA : Après tout ce que tu as vécu, j'avoue que j'ai jugé nécessaire, voire indispensable de t'evoquer un hasard pour expliquer la disparition de ton père. Je ne t'en ai jamais reparlé car j'avais voulu enfouir dans ma memoire ces dures années et m'en détourner. Tu étais tout ce qu'il me restait, je ne pouvais pas me trouver l'objet de ton malheur, et tu n'étais pas encore guérie de cette blessure que la mort d'Emile a laissé en toi.

Sa voix s'était brisée à la mention de ce nom. Elle prit plusieurs inspirations, et continua son récit.

ANNA : En vérité, j'ai atteint mes études de droit, et suis devenue une avocate pénaliste à succès après celles-ci.

Helena regardait sa mère, bouche bée. Elle ne savait comment réagir face à cette nouvelle. Que signifiait-elle? Quel lien entretenait-elle avec l'histoire de Jacques Bennet?

ANNA : Écoute moi, d'abord je te prie. Pendant le récit que je vais te raconter, il se peut que tu me haïsses à quelques reprises, mais je te demande de rester jusqu'à la fin. Ensuite, tu auras la liberté de sortir en claquant la porte, et s'il-te-plait, de revenir quelques heures plus tard.

HELENA : Très bien.

Le ton qu'Helena employait semblait déjà froid et distant, comme si elle prévoyait de ne devoir l'utiliser fréquemment dès lors.

HELENA : Pourquoi m'avoir caché cette activité?

ANNA : Je m'en veux désormais, mais la raison pour laquelle je ne t'avais rien dit au départ, était que le monde de l'avocat pénaliste est dur. J'étais constamment soumise au chantage, et quand je venais te chercher à l'école, ton sourire heureux ne me donnait pas la force de penser à mes malheurs. De plus, je sais ta passion pour la justice, pour l'égalité, et les épisodes auxquels je devais faire face repousseraient n'importe qui. Je me devais de te protéger et de continuer à nourrir avec toi cette passion.

Le 7 février 1974, donc, après t'avoir déposée, je me rendais au cabinet, où un nouveau dossier m'avait été envoyé, lequel portait le nom d'Emmanuelle Gary. Il était habituel d'être contacté par de nouveaux clients, et j'avais pour mode de fonctionnement de convoquer la personne après avoir épluché le dossier pour préparer ma plaidoirie. J'ouvrais donc le dossier, dont la première page est toujours celle où sont inscrits les noms de la victime ainsi que de l'accusé, et des avocats les représentants. Je parcourait des yeux sans grandes expressions mon nom et celui de madame Gary et m'arrêtait sur celui de l'accusé. Jacques Bennet. Affolée, je parcourais le dossier en etouffant quelques jurons jusqu'à trouver les pages de procédure et les faits qui étaient reprochés.

J'y apprenais sur madame Emmanuelle Gary qu'elle avait accusé monsieur Jacques Bennet de violences physiques et morales sur leur fille, Violette, alors âgée de six ans. Je fus immédiatement soulagée, me disant que le nom de Bennet était courant, et que sans nul doute celui que je connaissais comme ton père et mon mari n'avait rien à faire dans cette affaire.

Je m'affairais à explorer le dossier de manière plus ample et trouvais les photos que rapportaient les documents des impliqués. Cheveux noirs de jais, yeux verrons, de cette rareté dont on en connut que peu, et ce nez aquilin que je savais trop bien. Avoir la confirmation que ton père était en effet accusé de tels faits me plongeait dans une colère noire, je voulais le défendre, et non pas l'attaquer, je le savais tout à fait incapable de violences, où au delà de cela, d'infidélité à mon égard.

Je reçus madame Gary au cabinet la semaine qui suivit.

EMMANUELLE GARY : Merci de me recevoir si vite, maître.

Je l'accueillais et l'invitais à s'assoir pour me faire une narration plus précise de l'affaire.

EMMANUELLE GARY : C'était il y a bien un mois. Je devais partir en vacances une paire de jours chez des amis, Violette semblait très heureuse de rester à la maison avec Jacques. Son père. Mon conjoint.

ANNA : Pardonnez mon interruption, mais depuis combien de temps fréquentiez-vous monsieur Bennet?

EMMANUELLE GARY : Cela faisait bien 8 ans. Nous nous sommes rencontrés lors d'un festival. Je remarque que vos nos de famille sont identiques, le connaissez-vous?

ANNA : Le nom de Bennet est très courant, madame.

EMMANUELLE GARY : J'étais juste curieuse. Comme je le disais, j'avais laissé Violette et Jacques à la maison Et je me dirigeais à pied vers la gare. Je me suis rendue compte que j'avais oublié mon passeport, et je retournais en vitesse chez moi. Mais en ouvrant la porte, j'entendais des cris. Je me dirigeais à l'oreille et assistais à une scène à glacer le sang. Jacques, après avoir insulté Violette, l'avait giflée à maintes reprises avant que je n'intervienne. Il n'habitait pas à plein temps chez moi, j'ignore pourquoi, il me disait avoir beaucoup de travail, mais quoi qu'il en soit je lui interdis de nous revoir et je portais plainte le jour même.

Le récit de cette dame m'avait touchée, certes, mais j'ai égoïstement décidé de la défendre car je savais mes talents de plaidoiries pénales suffisamment excellents pour l'envoyer derrière les barreaux, et le punir de cet adultère qu'il commettait depuis si longtemps...

Car je vous aimeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant