Chapitre 18

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ANNA : Je me souviendrais toujours de ce moment, où j'entrais dans la salle du tribunal, le pas faussement assuré derrière ma cliente et maîtresse de mon mari. C'est une scène émotionnellement insupportable. Le regard que Jacques m'avait lancé à ce moment-là réunissait toute la haine qui l'habitait envers moi. Lorsque je prenais ma place à quelques mètres de ceux qui jugeraient l'homme que je pensais être celui de ma vie, j'aurais tout donné pour revenir en arrière et n'en rien savoir. Mais je ne pouvais plus reculer, et j'étalais, la boule au ventre, les documents du dossier sur le pupitre.. On se laisse rarement attendrir après des années d'expérience, car tous les cas semblent se succéder sans fin, mais quand il en vient à notre affaire, plus aucune autre ne compte.

HELENA : Qu'est-il advenu ensuite?

Helena baissait la tête au fur et à mesure que le récit de sa mère se poursuivait, laquelle s'en apercevait, mais ne pouvait se résigner.

ANNA : Le procès commença. Jacques avait alors nié les accusations qui lui étaient portées et avait même feint d'ignorer l'existence d'Emmanuelle et de sa fille. Je demandais à ce que l'on fasse entrer l'enfant et victime de l'affaire, Violette. Elle entrait, encadrée au coude-à-coude par deux agents des forces de l'ordre, comme il était conforme au règlement. Elle exprimait alors un air ébahi, oubliant où elle se trouvait, et elle se rua alors sur Jacques en s'exclamant "Papa!". Ce fut la confirmation douloureuse que j'attendais malgré tout. Jacques avait menti de manière ridicule au tribunal, et j'étais déjà parvenue à erroner ses premières paroles.

HELENA : N'as-tu pas pensé que j'aurais eu besoin d'un père?

ANNA : Certainement pas d'un père violent, Helena, de plus, crois-tu réellement qu'il fut pour moi un jeu d'enfant que de plaider en sa défaveur? Tu perdais ton père, mais n'oublies pas que j'y perdais également mon mari.

Helena restait silencieuse. Un terrible sentiment de haine honteuse l'habitait. Elle regardait sa mère, qui, au premier abord, semblait fragile et sensible, puis elle observa cette facette d'elle qu'elle n'avait jamais connu, cette femme de parole, de courage, qui combattait les injustices de la vie. Anna était finalement tout ce qu'Helena avait admiré en d'autres. Mais elle lui en voulait cruellement de lui avoir ôté son père, fusse-t-il pour la meilleur des raisons.

ANNA ; J'ai avancé qu'il avait le droit au silence, mais que le droit de mentir ne lui était pas réservé. J'estimais donc qu'une peine alourdie serait de conséquences. Le procès continua, Jacques admettait finalement les faits, toujours en me jetant ces regards blessés, incompris, et haineux, que je parvenais tout juste à ignorer. L'avocate générale pris alors la parole. C'est elle qui suggère quelle peine serait la mieux adaptée au vu de la situation, avant que le magistrat n'aille la délibérer.

HELENA : Elle décidait l'emprisonnement...

ANNA : Il n'aurait pas pu y réchapper, elle proposait donc treize années d'emprisonnement et 150 000€ d'amende. Le juge avait été clément.

Helena devint pâle. Ses yeux s'emplirent tout d'un coup de larmes, qu'elle ne s'efforça pas de ravaler.

HELENA : Douze ans.

ANNA : Février prochain.

HELENA : Deux mois.

ANNA : Je suis désolée, Helena.

Helena se levait de la table, se saisit de sa veste, et s'avançait vers la porte d'entrée.

HELENA : Pourquoi n'avoir pas continué à exercer? Te sentais-tu coupable d'avoir fait incarner le père de ta fille de cinq ans?

ANNA : Oui.

La porte se claqua.

Car je vous aimeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant