Chapitre 14

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MADAME BRUN : A plus tard, Aurore.

AURORE : Au revoir, maman.

Madame Brun s'empara de sa sacoche de cuir et passa la porte, la refermant délicatement derrière elle. Aurore resta seule dans cette salle qu'elle n'avait pas connu avant cela. C'était une petite pièce rectangulaire, meublée d'un simple bureau qui faisait l'angle du fond, dont la faible lumière vacillait, faisant trembler le faisceau à travers les murs. A droite, une vieille coiffeuse semblait se détériorer au fil du temps, son miroir connaissait de multiples fissures noircies. Le plafond, peint originellement de beige, s'effritait et virait au marron. Dans son ensemble, la pièce semblait n'avoir été visitée pendant des années, tant les meubles et les murs trahissaient leur mauvais état. La chaise sur laquelle Aurore était assise grinça fortement, comme pour lui prévenir de s'en lever avant qu'elle ne se fende. Maintes couches de poussière recouvraient maintenant le gilet de la jeune femme, qu'elle balayait d'un revers de main, en étouffant un toussotement. On frappa à la porte. Madame Aria Morrin, ancienne enseignante au conservatoire national de musique de Paris, et nouvellement professeure du même domaine dans l'établissement, entrouvrit la porte.

MADAME MORRIN : J'ai échangé avec madame Simon, tu pourras repasser ton examen.

AURORE : Merci.

MADAME MORRIN : Voudrais-tu en parler?

Aurore hocha la tête en signe de négation. Après un court silence, elle reprit :

AURORE : Quelle est cette salle?

MADAME MORRIN : Elle était utilisée il y a de cela quelques années comme salle d'isolement pour ceux qui l'auraient désiré. Tu pourras l'utiliser à l'avenir si tu le souhaites.

Au même instant, Helena sortait rageusement de la salle d'examens mathématiques, arrachant d'un geste brusque la pince qui retenait ses cheveux en arrière. Elle marcha d'un pas rapide vers le débouché du couloir, bouillonnante, sans prêter attention à ce qui l'entouraient, et sans voir Neven, qui l'attendait. Lorsqu'elle passa à son niveau, il la retint par le bras.

HELENA : Voulez-vous bien me lâcher?

Il s'exécuta. Elle s'arrêta et expira longuement.

HELENA : Désolée.

Il sourit.

NEVEN : Voudriez-vous m'accompagner pour une promenade dans le parc?

Elle regarda ses yeux suppliants. L'espace d'un instant, ces yeux d'amandes posés sur les siens lui remémorèrent soudainement, de ces fois où elle avait plongé son regard dans le sien pour se laisser bercer par la tendresse de ces yeux. Elle resta immobile quelques secondes, se souvenait. Que s'était-il passé pour qu'elle n'eut plus eu l'occasion de se conforter dans son regard pendant ces longues semaines? Aurore. Le savoir que son départ était la cause du retour de Neven vers elle la poussait à comprendre que, lorsque la jeune femme reviendrait, une nouvelle fois, le garçon la délaisserait. Elle s'en réservait l'idée de lui aborder le sujet lors de cette promenade, et acceptait.

HELENA : Ecoutez, Neven, ce sujet vous mettra certainement inconfortable, mais pour le respect de moi-même que j'aimerais conserver, je vous le demande. Comment est-ce-t-il que dès son départ, vous reveniez vers moi, en pensant que je serais suffisamment sotte pour oublier votre négligence à mon égard?

Neven resta silencieux quelques secondes.

NEVEN : Asseyons-nous au ponton.

Les deux s'installèrent, face au soleil, bientôt couchant, qui laissait transparaître une once de nuages rosés.

NEVEN : Quand Aurore est arrivée, j'ai trouvé en elle une personne extraordinaire. Elle était radieuse, toujours heureuse, compréhensive, et rayonnante, comme en miroir du soleil.

HELENA : J'eu pu m'en apercevoir.

NEVEN : Je vous avoue que j'ai pensé pendant un court moment que peut-être la considérais-je comme plus qu'une simple amie. Mais je me suis rendue compte maintenant que je vous retrouve, que la relation que j'entretiens avec elle n'est qu'amicale, et que je ne saurais penser autrement tant que vous serez là.

HELENA : Je ne sais pas comment prendre cette information.

NEVEN : Ce que je m'essaye à vous dire, c'est que malgré les apparences, je me rends compte ici que l'affection que je pensais lui porter vous revient. C'est la raison pour laquelle je me suis servi de son départ pour tenter de comprendre mes sentiments envers vous et envers elle.

HELENA : Vous avez attendu qu'elle parte pour cela. Avez-vous peur qu'elle vous surprenne à me parler?

NEVEN : Non, simplement j'ai eu vent de complications concernant sa famille, et j'ai voulu l'aider au mieux en étant présent afin qu'elle ne soit pas seule, et étant donné qu'elle a été aujourd'hui momentanément hors du lycée, j'ai désiré tenter de vous retrouver.

HELENA : Des complications de sa famille? Sauf son respect, nous sommes tous concernés par ceux-ci.

NEVEN : Son frère, Paul Brun, est atteint d'une maladie sérieuse qui lui pourrait valoir la mort. Il est même certain qu'elle arrivera dans les prochains mois.

Helena porta son regard sur l'eau trouble.

HELENA : Je ne l'ai pas souvent entendue parler.

NEVEN : Elle peut être discrète. Parfois, une personne qui paraît heureuse se sert de ces apparences pour cacher une tristesse profonde. Ces derniers jours, sa joie de vivre a été comme happée, oubliée. Vous ne l'aimez pas, n'est-ce pas?

HELENA : Ce n'est pas tellement cela, disons plutôt que je la jalouse beaucoup. Vous la savez ravissante, son rire résonne en échos, comme des ondes de chaleur... Imaginez-vous cela. Si l'on devait peindre un tableau de chaque personne, le sien serait... jaune, orange, rose, probablement uniquement couvert de couleurs chaudes, une nouvelle fois, avec un fond bleu de tristesse, de ce que vous décrivez de sa situation. Si l'on devait peindre le mien, on y verrait les couleurs froides dominantes sous quelques tons peu chaleureux.

NEVEN : Je verrais plutôt le vôtre d'une multitude de couleurs, peut-être plus sombres mais surtout plus sophistiquées, plus pointilleuses, plus distinctes les unes des autres malgré leurs similitudes... Je vous peux assurer que votre tableau est complexe, révélateur et, tout de même éclatant.

Helena le regarda. La mèche de cheveux claire qui s'échappait vaillamment, couvrait une partie de son front, qu'il balayait d'un coup de main. Sous la pluie qui commençait à tomber, des nuages désormais grisés recouvrant le ciel, elle découvrait de sa personnalité une nouvelle facette, une richesse de sentiments profonde. Elle réalisait que le cœur de ce garçon était bien assez grand pour elle-même mais aussi pour d'autres, et qu'il était bien assez généreux et tendre pour différencier l'amour et l'amitié qu'il portait respectivement pour deux personnes, et pour ajuster ses interactions avec chacune.

HELENA : Vous êtes manipulateur.

Un rire sournois et léger échappa à Neven.

NEVEN : Si je ne l'étais pas, je ne pourrais jamais m'initier à la vraie vie. Le monde qui nous attend après ces années n'est guère toujours appréciable.

Depuis cette salle dite d'isolement, Aurore témoignait de cette complicité évidente qui animait les deux. Elle sourit à la vue de Neven heureux, malgré la douleur de ne s'en voir l'objet. Séchant les lourdes larmes qui avaient illustré sa tristesse, elle se dirigeait d'un pas léger, bien que lent, vers le réfectoire. 

Car je vous aimeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant