L'ambiance sereine et festive du navire avait laissé place à un silence lourd, oppressant, que seule la voix du capitaine, donnant ses ordres, venait à couper. Benjamin s'était installé dans un coin, entre deux grosses caisses, tandis que Méryne et Cassian passaient entre les marins pour leur proposer leur aide, espérant ainsi que la présence de Vishka, si discrète fût-elle, passe complètement inaperçu.
— Je te fais peur ? demanda Vishka, ses crocs à quelques centimètres de la jugulaire du garçon.
— Non, murmura le Brodeur de Rêves, le regard fixé sur la nuque de Cassian.
— Tu mens, affirma le serpent, mais ça ne fait rien. C'est normal d'avoir peur. Je suis un serpent. Mon venin est mortel. Une simple morsure et tu cesseras de respirer. Juste comme ça.
Les muscles tendus, le terrien réprima un frisson. La peur se resserra sur lui tel un étau, et il dût faire appel à toute sa volonté pour ne pas s'arracher du contact de Vishka.
— Mais je ne te ferai rien, siffla le serpent, tu es spécial, bien plus que tu ne l'imagines. Le moment venu, nous ne formerons qu'un, et alors, nous deviendrons le duo le plus puissant du monde. J'attendrais, jeune Brodeur de Rêves, je t'en fais la promesse.
Après un dernier sifflement, le familier glissa le long du dos du garçon, lui laissant une désagréable sensation de brûlure sur son passage. Il s'enroula autour de sa cuisse et n'y bougea plus. Benjamin, secoué par les menaces voilées de Vishka, garda le regard rivé sur les vagues qu'il apercevait entre deux planches fissurées sur la coque. Devait-il en parler à Méryne et Cassian ? Et comment faire sans éveiller les soupçons de Vishka ? Mais peut-être qu'il se faisait des idées ? Que Vishka ne le menaçait pas du tout et qu'il exprimait simplement son désir ?
— Les geysers, souffla une voix à ses côtés, le faisant sursauter.
Benjamin se releva et lança un regard au marin se trouvant à ses côtés. Petit et squelettique, des cheveux gris relevés en chignon sur la tête, des pattes d'oies au coin des yeux, Kêy faisait parti des plus vieux matelots du navire. De nature calme, il se contentait de faire son travail, participant rarement aux beuveries des autres matelots.
— Où ça ? Demanda l'Orangeois en parcourant la ligne d'horizon du regard.
— Juste en face, lui montra Kêy, ils sont le premier rempart du royaume de Fryza. Derrière, il y a une vaste plage surplombée par une immense chaîne de montagnes appelée Pics de la Destinée. Rares sont ceux qui y accostent et encore plus ceux qui en reviennent. Les Fryziens sont réputés pour leur autarcie. Ils refusent la moindre visite sur leurs Terres. Seule leur plage est accessible. Les marins ont le droit d'y accoster, de s'y reposer et même d'y faire du troc et du commerce avec les Fryziens. Mais mettre un pied dans les Terres se trouvant derrière les Pics de la Destinée est pour eux synonyme d'une déclaration de guerre. Pour ma part, et je pense que le capitaine partage mon avis, je n'y accosterais pour rien au monde. Je préfère encore affronter la tempête en pleine mer.
Pensif, Kêy observa les pics se rapprocher doucement et Benjamin n'osa lui demander plus d'explications. Du bout des doigts, l'adolescent caressa le manche de son aiguille, priant pour que la seconde soit bien sur l'île de Ghost, et non au coeur du royaume hostile de Fryza.
Soudain, des cris retentirent côté Poupe et Kêy, bousculant presque Benjamin, s'y rendit au pas de course. L'adolescent, sentant que quelque chose clochait, le suivit, espérant ainsi rejoindre Cassian et Méryne. Contre sa jambe, le serpent s'agitait nerveusement.
— Reste là, jeune inconscient, souffla Vishka en remontant le long de son dos.
— Tu ne dormais pas, toi ? lui demanda Benjamin avec agacement.
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Le brodeur de rêves - Tome 1 - L'héritage de Garamaé
FantasíaL'équilibre de Garamaé fut rompu il y a de cela des siècles, lorsque le Marchand de Sable trahit le Brodeur de Rêves. Le monde fût alors plongé dans le chaos avant de renaître de ses cendres. Mais sans les maîtres de la nuit, Garamaé peut-il vraimen...