18. Une question d'honneur

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Orange – Devant un collège

Louise regardait autour d'elle avec nervosité. Cela faisait plusieurs jours qu'elle se sentait observée, suivie, mais elle n'avait encore jamais surpris personne. Loin de la rassurer, sa mauvaise impression n'en était que plus présente. Autour d'elle, les élèves attendant l'ouverture de collège discutaient entre eux, ne lui prêtant aucune attention. Les petits groupes se formaient ici et là, se racontaient leur soirée, comparaient leurs devoirs. Louise, quand à elle, était pensive, stressée. Elle ne cessait de regarder partout autour d'elle jusqu'à ce qu'un mouvement capte son attention. La jeune fille plissa les yeux, essayant de distinguer les formes se dessinant dans l'impasse face à elle. Plusieurs fois, elle avait cru voir une silhouette s'y profiler, mais à chaque fois, elle disparaissait avant que Louise ne puisse déterminer s'il s'agissait d'une simple illusion ou non. Alors qu'elle s'inventait mille et un scénario plus horrible les uns que les autres, une main se posa brusquement sur son épaule, la faisant sursauter. Retenant un hurlement qui se transforma en quelque chose entre le jappement et le cri, Louise fit volte face. L'adolescente entendit alors un grognement étouffé tandis qu'une pression s'exerçait sur son cartable, manquant de lui faire perdre l'équilibre.

— Louise, bordel ! Tu mets quoi dans ton sac ? gronda une voix féminine, ça a sonné, faut y aller. J'ai pas envie d'être collée. Grouille !

Le coeur battant la chamade, Louise reprit doucement phase avec ce qui l'entourait. Face à elle, Mélanie se massait les côtes, la regardant avec inquiétude. Derrière elle, Mathéo observait la route, hagard. Depuis la disparition de Benjamin, le garçon s'était renfermé sur lui-même, ne parlant que lorsque c'était nécessaire, et suivant Mélanie comme son ombre. Cette dernière essayait tant bien que mal de maintenir leur petit groupe à flot, faisant plus souvent des monologues que de réelles discussions. Quand à Louise, elle était à fleur de peau, regardant sans cesse autour d'elle, et exposant aux deux autres les scénarios les plus rocambolesques qui lui venaient en tête face à la disparition de leur ami et cette sensation d'être constamment épiée. Ils l'écoutaient d'une oreille distraite, ayant conscience que c'était sa façon de surmonter la disparition du garçon qu'elle aimait, mais ne partageaient pas du tout ses idées. Pour eux, il ne faisait aucun doute que Benjamin avait paniqué face aux sentiments de Louise, qu'il avait voulu s'aérer l'esprit et avait fait une mauvaise rencontre. Et si ils n'étaient pas d'accord quand au devenir de leur ami, les trois adolescents l'étaient au moins sur un point : Benjamin n'avait pas fugué. Mais c'étaient bien les seuls à le penser, et la police, faute d'indices, continuaient de suivre cette hypothèse. Mais si ils s'en retrouvaient émotionnellement affectés, ils l'étaient également en cours. Incapable de se concentrer, leurs notes avaient grandement baissées, mais ni les profs, ni leurs parents ne leur en tenaient rigueur. Et si cette peste de Léa y allait de ses commentaires mesquins, peu d'élèves continuaient de lui porter un quelconque intérêt.

— Alors, lança justement cette dernière en se postant devant les trois amis, votre copain n'est toujours pas revenu ? Il doit se la couler douce dans un champs. Ou alors il pleure sa maman au fond d'une cave, railla la voix aiguë de Léa, sans même se rendre compte que ses propres amies la regardaient avec dégoût.

— La ferme ! rétorqua fébrilement Mathéo, dont la voix, retenu par sa colère et sa peine, était à peine audible.

Louise, bouillonnant de colère, se força au calme, mais, quand le premier sanglot de Mélanie traversa ses lèvres, ne faisant qu'accentuer les moqueries de leur camarde, la jeune fille fonça droit sur Léa. La claque résonna dans le hall et tous les regards se posèrent sur elles. La douce et timide Louise devenait le centre d'attention de tous, profs, surveillants et élèves compris. Des murmures parcoururent les rangs, les derniers arrivants étant mis au courant de l'événement de la journée. En quelques minutes, la rumeur était déjà passée d'une gifle à un coup de poing, puis d'un coup de poing à une bagarre de filles. Toutefois, si la première modification restait erronée, la deuxième se vérifia à peine quelques secondes plus tard.

Passé l'instant de surprise, Léa fonça droit sur Louise. Les deux filles tombèrent au sol, se tirant les cheveux, griffant et mordant chaque centimètre de peau de leur adversaire ayant le malheur de passer devant elles. Un goût de sang se propagea dans la bouche de Louise tandis qu'on les séparait. Maintenues en l'air, chacune par un surveillant, les jeunes filles se débattirent avec rage.

— Le spectacle est fini ! résonna la voix de l'homme maintenant Louise contre son torse.

— Tous en cours, maintenant, si vous ne voulez pas d'une heure de colle! menaça la femme qui avait ceinturé Léa.

En quelques minutes, les deux jeunes filles se retrouvèrent dans le bureau de la principale qui, après les avoir écouté, appela leurs parents pour qu'ils viennent les chercher, ajoutant qu'un renvoi de trois jours et une rédaction de six pages sur la façon de se comporter en société, devraient les faire réfléchir à leur comportement.

De retour chez elle, Louise, prétextant vouloir méditer sur son devoir, s'enferma dans sa chambre. Sa mère ne l'avait même pas grondé, préférant jouer la bonne copine, compatissant sur son malheur. Et si, d'ordinaire, la jeune fille aurait été soulagée par un tel comportement, ce jour-là, elle ne s'en sentit que plus mal à l'aise. En soupirant, l'adolescente s'installa à son bureau et sortit une feuille. Fixant la ruelle face à elle, Louise se laissa porter par ses pensées.

Quand elle rouvrit les yeux, il faisait déjà nuit. Louise se redressa, sur son lit, ne se souvenant pas comment et quand elle s'y était glissée. Toujours habillée, la faim au ventre, elle lança un regard à son devoir qu'elle n'avait toujours pas commencé et décidant que cela pouvait attendre, elle alla se chercher de quoi manger. Dans la cuisine, tout était sombre et silencieux. La pendule indiquant une heure du matin, la jeune fille en déduisit que ses parents dormaient déjà. Son assiette se trouvait au réfrigérateur et elle se dépêcha de la faire réchauffer. Après ce bref repas, Louise retourna dans sa chambre et ouvrit la fenêtre, dans l'idée de fermer ses volets. Baissant les yeux, elle se figea de peur, le sang glacé. En contrebas, immobile, une ombre l'observait. Paniquée, Louise remarqua les lumières des lampadaires clignoter de plus en plus vite avant de s'éteindre brusquement. L'ombre se faufila jusqu'à elle, glissant sur le macadam, et grandissant de plus en plus jusqu'à plonger l'intégralité de la rue dans le noir le plus total. Louise poussa un hurlement silencieux tandis qu'une main de géant, d'un noir profond, se refermait sur elle. Une légère brise fit s'agiter les rideaux de la fenêtre restée ouverte. Rien d'autre ne bougea dans la petite chambre désormais vide. Dehors, l'obscurité sembla s'épaissir un instant avant de retrouver son aspect d'origine. Les lampadaires illuminèrent de nouveau la rue. L'ombre s'en était allée, emportant Louise entre ses griffes acérées.

Le brodeur de rêves - Tome 1 - L'héritage de GaramaéOù les histoires vivent. Découvrez maintenant