A Ramaé, au palai royal
La capitale était en effervescence. La saison estivale débutait et, comme chaque année, Ramaé la célébrait par une magnifique fête qui durerait toute la nuit, du couché au levé du soleil. En ce jour si spécial, le palais était ouvert aux Garaméens, qui, venus de loin pour la plupart, pouvaient le visiter librement avant de rejoindre leurs auberges. Des saltimbanques avaient investis les places publiques où ils dévoilaient leur art : l'un se servant de sa magie des plantes pour séduire les jolies filles avec des fleurs sorties de nulle part, l'autre en jonglant habilement avec des lames acérées, feignant par moment un loupé pour garder le public en haleine. Des effluves de viandes grillées et d'alcool flottaient dans l'air, gardant ainsi les touristes dans un état de bien-être propice à la fête et aux dépenses.
Toutefois, du haut de la plus haute tour du château, une personne avait l'esprit bien loin de l'agitation parcourant le petit peuple. Les traits tirés et la fatigue dissimulée derrière une bonne couche de maquillage, les cheveux impeccablement coiffés sous une tiare fine en or tissé, la reine Alyna observait les centaines de petits points s'agitant en contrebas.
Plusieurs semaines s'étaient écoulées depuis qu'Alyna avait envoyé son plus précieux serviteur récupérer la Tisseraie, et n'ayant reçu aucune missive de sa part, elle ne savait rien sur l'avancement de sa mission. Il pouvait être mort qu'elle n'en saurait jamais rien. Pourtant, Alyna gardait la foi. Il allait revenir. Il le lui avait juré, après tout, et Arvin n'était pas homme à bafouer ses promesses. Mais le fait qu'il prenne autant de temps la frustrait, et pour oser la faire ainsi patienter, elle le châtierait. Oh ! Pas trop fort. Après tout, il lui était d'une aide précieuse et elle ne pouvait se permettre de le perdre, mais assez pour qu'il comprenne ce qu'il en coûtait de négliger ainsi les demandes d'une reine. Quand à cette odieuse paysanne, il ne faisait aucun doute qu'elle avait pris la fuite à la moindre occasion.
Penser à cette traîtresse ne faisait qu'attiser la colère qui brûlait en elle depuis des années. Elle se retrouvait une nouvelle fois impuissante, et ce sentiment lui était intolérable. Sa peine et sa colère enrobèrent son cœur tandis qu'elle quittait ses appartements. Du bout des doigts, elle effleura une porte fermée à clé, un voile de tristesse passant quelques secondes dans son regard. Mais quand elle atteignit le grand escalier de marbre de son palais, ses yeux ne montraient plus que leur froideur habituelle.
Dans le hall, elle passa sans s'arrêter devant le portrait grandeur nature de son défunt mari. Le roi Estyeban avait succombé quelques semaines après la naissance de leur fille Lucky, et la reine avait dû s'en occuper seule durant deux mois. Jusqu'à ce que, quelques jours après les trois mois de la princesse, cette dernière lui fût arrachée. Depuis, elle n'avait de cesse d'essayer de les retrouver, elle ou les coupables, afin de leur faire avouer ce qu'il était advenu de Lucky.
Arrivée devant les gardes, Alyna prit une grande inspiration, refoulant toutes ses émotions dans un coin de son cœur. Elle passa une main délicate sur ses joues avant de faire signe aux gardes de lui ouvrir. Les portes en fer grincèrent sur leurs gonds et des effluves de pourriture lui agressèrent les sinus. Alyna, toute reine impassible fût-elle, ne put réprimer une grimace de dégoût. Prévenant, l'un des gardes lui tendit un tissu de soie lui permettant de se protéger des odeurs. Mais, loin de voir ce geste comme une marque de gentillesse, la reine s'en sentit offensée. Comment ce simple garde osait-il lui proposer son propre tissu comme il le ferait avec n'importe quelle gueuse du royaume ? Devant le regard assassin de la reine, le garde blêmit et se confondit en excuses. Alyna avança entre les portes, ignorant magistralement le pauvre garde.
A peine eut-elle franchit la porte qu'un haut-le-coeur l'assaillit. Une main sur la poitrine, elle recula de quelques pas et, revêtant tant bien que mal son masque de froideur, elle tendit la main au garde jusqu'à ce qu'il lui remette le tissu qu'elle venait de refuser. Ce dernier noué de façon à lui couvrir entièrement le nez et la bouche, elle inspira profondément. Les effluves de pourriture largement atténuées par l'odeur masculine du garde, la reine marqua un temps d'arrêt. Cela faisait si longtemps qu'elle n'avait été assaillie par un tel parfum qu'elle s'en retrouva chamboulée.
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Le brodeur de rêves - Tome 1 - L'héritage de Garamaé
FantasiaL'équilibre de Garamaé fut rompu il y a de cela des siècles, lorsque le Marchand de Sable trahit le Brodeur de Rêves. Le monde fût alors plongé dans le chaos avant de renaître de ses cendres. Mais sans les maîtres de la nuit, Garamaé peut-il vraimen...