7. Mauvais présage

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 — Bon, comment dois-je procéder ? demanda Benjamin, avec anxiété.

— Tu dois le tenir bien droit, lui expliqua Méryne en posant une main sur celle de l'Orangeois, comme ça, regarde.

Le jeune garçon se sentit rougir violemment tandis que la jeune fille corrigeait sa posture, sous le regard suspicieux de Cassian. Une semaine s'était écoulée depuis leur rencontre et Benjamin, gêné de les voir se démener pour trouver de quoi les nourrir et préparer les repas tandis qu'il restait assis à ne rien faire, leur avait demandé de lui apprendre à chasser. Ce fût ainsi qu'il s'était retrouvé, ce jour-là, dans un clairière, l'arc de Méryne en main, pour une leçon express de tir.

— Respire lentement et profondément, continua la chasseresse, ne tremble pas. Tu dois avant tout avoir confiance en toi et ne pas hésiter. Maintient ta position, relâche ton bras et tire.

La vibration de la corde tinta à l'oreille de Benjamin, la vitesse de la flèche brûla sa peau et le bruit sec de la pointe s'enfonçant dans la terre lui arracha un soupir de frustration. Il avait encore manqué la cible d'une bonne dizaine de mètres.

— Tu y arriveras, le consola Méryne en grimaçant, il faut juste t'entraîner.

— Et ne pas t'acharner inutilement, intervint Cassian en les rejoignant, j'ai fabriqué des épées de fortune. A mon tour de te montrer quelques trucs.

Les deux garçons s'entraînèrent à parer les coups de l'autre durant une bonne heure. Si la posture de Benjamin était bonne, la lenteur de ses mouvements et sa maladresse rendaient la joute pénible pour les deux garçons.

— Peut-être que tu devrais te concentrer sur la Tisseraie, suggéra Cassian lorsque Benjamin manqua de se crever un œil en trébuchant avec son épée, cet objet de légende recèle forcément des pouvoirs insoupçonnés comme...Bon je ne sais pas ! Mais ça vaut la peine de chercher, non ? Peut-être qu'elle nous mènera d'elle-même à la deuxième aiguille ?

— Oui, sûrement, répondit mollement Benjamin, déprimé par sa succession d'échecs et épuisé par cet entraînement inhabituel pour son corps.

Le garçon s'allongea dans l'herbe. Cette dernière était fraîche et lui faisait comme un lit moelleux. Au-dessus de lui, les branches des arbres, bien feuillues, lui offraient juste ce qu'il fallait d'ombre pour ne pas être ébloui par le soleil et de fraîcheur pour se sentir apaisé. Bercé par le bruissement du vent dans les arbres, par le mouvement dansant des feuilles et par le chant des oiseaux alentours, Benjamin sentit ses paupières s'alourdir. L'adolescent ferma alors les yeux et ne tarda pas à s'endormir.

Benjamin se réveilla avec la sensation d'avoir dormi sur un matelas de clous, mais surtout avec celle d'avoir fait un drôle de rêve. Il était question d'aiguilles et de destiné. Avant de complètement l'oublier, le garçon tendit le bras afin de récupérer son portable. Il devait absolument le raconter à Louise avant de l'oublier. Il l'imaginait déjà, quand il la retrouverait pour aller au collège, en train d'énumérer tout les sens possibles de son rêve. Sa main tomba mollement sur une texture humide et légèrement piquante. Benjamin se redressa en sursaut pour découvrir des arbres à foison autour de lui. La lumière du jour perçait entre les feuilles en d'innombrables traits de poussières d'or. Non loin de là, un autre garçon retournait des branches sur le sol, alimentant ainsi un joyeux feu de camp.

Le garçon, concentré sur sa tâche, avait des cheveux courts et ébouriffés d'un noir corbeau avec d'étranges reflets bleutés, un visage à la mâchoire carrée mais aux traits encore juvéniles, comme s'il hésitait entre rester dans l'enfance ou devenir adulte. Mais son corps était déjà celui d'un jeune homme musculeux, travailleur. Ce contraste donnait l'impression que Cassian avait grandit trop vite, qu'il avait été obligé de devenir un homme avant l'heure. En l'observant ainsi, Benjamin se remémora les événements l'ayant conduit jusqu'ici. Il se rendit également compte qu'il ne savait rien de ses compagnons mais, surtout, que trop préoccupé par sa situation, il n'avait même pas songé à en savoir plus. Honteux, le jeune garçon décida de corriger cet impair.

— Cassian, l'appela-t-il tout en le rejoignant, bonjour ! Hum...Je voulais te demander...,Benjamin laissa sa phrase en suspend alors qu'il remarquait l'absence de Méryne, où est ta sœur ?

— A la chasse, répondit le Garaméen, elle ne devrait pas tarder.

— Oh ! D'accord, répondit l'Orangeois, en fait je voulais te demander...Enfin...Je me suis rendu compte que je ne savais pratiquement rien de vous et...

Le garçon fut interrompu par le cri perçant d'une créature. Soudainement, le ciel s'assombrit et quelque chose racla sur les branches au-dessus d'eux. Alors que Cassian brandissait son épée artisanale, Benjamin leva la tête. Une ombre gigantesque fusa, faisant craquer le bois des arbres, et se posa sur le sol, à quelques mètres seulement des deux garçons. Le Vauclusien ouvrit la bouche, les yeux écarquillés. Si le garçon doutait encore d'avoir été envoyé dans un autre monde, cette apparition avait si tôt fait de lui en donner la ferme et définitive certitude. Face à lui se dressait une sorte d'aigle géant à deux têtes. Ses serres, d'un rouge délavé, faisaient la taille des bras du garçon. Son corps, massif, semblait aussi solide qu'un roc malgré son plumage volumineux. Ses yeux, d'un jaune perçant, donnaient l'impression de lire en eux, de les juger digne ou non de son intérêt. Benjamin, ne voulant pas finir en pâté pour volatile, pria pour que cet intérêt ne se situe pas au fond de son estomac. Non loin, quelqu'un ou quelque chose martelait le sol à vive allure, se rapprochant toujours plus d'eux. Benjamin sentit l'intégralité de ses poils se dresser, imaginant sa dernière heure arrivée. Mais au lieu d'une bande de créatures déchaînées et affamées, ce fût la silhouette gracieuse de Méryne qui sorti d'entre les arbres aux côtés de l'aigle géant. Des feuilles dans les cheveux, quelques égratignures sur les joues, elle exhibait avec nonchalance trois carcasses de lièvres fermement attachées sur ses épaules grâce à une sorte de liane souple et incassable.

L'aigle se tourna vers elle et poussa des cris perçants. Benjamin fit un mouvement pour rejoindre sa nouvelle amie, pour la sauver de ce prédateur, mais Cassian le retint. L'une des têtes les fixait, semblant les défier d'intervenir tandis que l'autre glatissait en regardant Méryne. En voyant la tête de la créature si proche de celle de la jeune fille, Benjamin sentit son sang se glacer. Pourtant, la jeune fille n'esquissa pas le moindre mouvement pour s'enfuir. Au contraire, elle avança d'un pas vers la créature et ouvrit la bouche. Sous le regard abasourdi de l'Orangeois, elle imita le trompètement de l'aigle en des sons d'ordinaire impossible à produire par les cordes vocales humaines. Au bout d'un moment, l'aigle s'envola et Méryne rejoignit les deux garçons qui attendaient silencieusement qu'elle leur fasse le compte-rendu de sa conversation qui semblait toujours aussi surréaliste aux yeux de Benjamin.

— Selon l'aigle, leur annonça-t-elle avec gravité tout en regardant le jeune Français, tu seras mort avant le couché du soleil.

Le brodeur de rêves - Tome 1 - L'héritage de GaramaéOù les histoires vivent. Découvrez maintenant