Les préparatifs de leur voyage prenaient plus de temps que prévu. Les trois amis devaient se montrer très discret, voir invisibles pour que les chevaliers de la reine ne les soupçonnent pas. Méryne et Cassian s'étaient mis d'accord pour laisser Benjamin le plus loin possible de la ville, au cas-où les divers aller-venus se passaient mal. La chasseresse faisait des provisions de viandes qu'elle mettait à sécher pendant que Cassian parcourait les rues de Fantasyne afin de troquer les peaux contre quelques vêtements passe-partout pour Benjamin et divers outils facilement transportables. Ils s'étaient accordés pour voyager léger. Méryne se chargerait de fabriquer leurs armes en piquant dans la réserve du bateau pour lequel Cassian avait négocié trois places à condition qu'ils travaillent dessus le temps du trajet. Ils seraient alors logés dans la cale avec des rations d'eau quotidienne, mais devraient se débrouiller pour la nourriture.
Peu avant l'embarquement, les trois jeunes gens se réunirent dans un bar miteux d'un des quartiers les plus lugubres du port. Ils choisirent la table la plus enfoncée dans les ténèbres de la taverne, là où les odeurs de vomis et de rats crevés étaient les plus pestilentielles, et où, par conséquence, ils étaient certains de ne pas être entendus. Ils se penchèrent sur une carte, à la lueur d'une vieille chandelle, afin de revoir une dernière fois leur itinéraire.
— Nous sommes ici, les informa Cassian en pointant une zone portuaire tout en bas de la carte, le bateau va remonter les abysses de Saint-Sylva par ici, ajouta-t-il en faisant remoter son doigt le long de la côte tracée sur la carte, il fera halte à Elmyk pendant deux jours. Nous ne devrons descendre sous aucun prétexte. Si quelqu'un découvre que nos sommes en possession de...
Cassian marqua une pause. Pour les deux autres, il était inutile d'en dire plus. Lukas avait été suffisamment clair. Si la reine Alyna apprenait que la première aiguille était entre les mains de Benjamin, il ne lui faudrait que quelques heures pour mettre le pays tout entier sur leurs traces. Et alors, ils ne feraient pas trois pas avant d'être interceptés. Et qui pouvait dire quel sort la reine leur réserverait ?
— Ensuite, reprit le mage, nous continuerons via la mer des Pourfendeurs jusqu'à Pearl-Campès où nous devrons trouver un moyen de rejoindre les îles. Il s'agit de la deuxième ville la plus importante après Ramaé, expliqua-t-il à Benjamin, il faudra être extrêmement vigilants.
— Et si on se fait prendre ? demanda Benjamin, pour qui les expressions se figeant sur les visages de Cassian et Méryne, comme si ils avaient mordus à pleine dent dans un citron, furent une réponse bien plus limpide qu'une explication orale.
Cela faisait déjà trois semaines que Benjamin avait atterri à Garamaé. Et même si il ne comprenait pas toutes les subtilités de ce monde, ou qu'il ne mesurait pas la dangerosité de sa situation, il avait au moins intégré un principe de base : discrétion et profil bas. Il avait pleinement conscience de l'épée de Damoclès flottant au-dessus de sa tête. S'il était capturé, d'autant plus en possession de la Tisseraie, ce serait la fin. Claire. Nette. Précise. Dans le meilleur des cas.
— C'est l'heure, souffla Méryne en rassemblant leurs paquetages, vous vous souvenez de nos noms ?
— Alwën, répondit Benjamin en montrant la jeune fille du doigt, Béry, continua-t-il en indiquant Cassian, et moi je suis Dorvin. Alwën et moi sommes fiancés, récita-t-il en rosissant légèrement, Béry est mon frère et nous nous rendons à Pearl-Campès afin d'obtenir la bénédiction de notre père, un pécheur un peu perturbé, vivant reclus dans sa cabane quelque part sur la plage et passant le plus clair de son temps en mer.
— Bien, le félicita Cassian, soit juste un peu plus naturel, sinon, tu risques de griller notre couverture à la moindre parole, puis plissant les yeux il ajouta, finalement parle le moins possible. Si vraiment tu as peur de gaffer, fais semblant de ne pas parler la même langue, ou mieux ! Fais comme si tu étais muet !
— Cassian ! s'exclama Méryne, ne sois pas méchant ! Benjamin s'en sortira comme un chef. Regarde les progrès qu'il a fait jusque là. Fais-lui confiance ! De plus, vous êtes censés être frères, donc il parle forcément la même langue que toi, imbécile !
— Oui, pas faux, concéda le Garaméen en se grattant l'arrière du crâne, oh ! Juste une dernière chose. Regarde bien notre destination, Benjamin. Selon Lukas, l'aiguille se trouverait quelque part sur l'île de Ghost, comme tu le sais. Mais il faut garder à l'esprit qu'il a pu se tromper. Par mesure de précaution, si nous ne l'y trouvons pas, il faudra que nous la cherchions sur les îles voisines : Trispo et Malyga.
Cassian lui indiqua les deux formes cartographiées à côté de celle de Ghost puis roula précautionneusement la carte qu'il glissa dans son sac. Méryne frissonna, le visage pâle et resserra sa prise sur sa besace.
— Je préférerais ne pas avoir à poser un pied sur Trispo, grimaça-t-elle, déjà que Ghost ne sera pas une partie de plaisir...
— Pourquoi ça ? demanda Benjamin, inquiet de voir pour la première fois Méryne aussi angoissée.
— Trispo, Malyga et Ghost sont réputées pour être maudites. Rares sont les voyageurs qui en reviennent, répondit Cassian d'un air grave, et ceux qui y parviennent en sont...changés.
Benjamin, devant le regard perdu de son ami, n'osa lui demander des précisions. L'atmosphère, soudainement lourde, lui oppressa la poitrine. Mais, posant son regard sur sa moitié de la Tisseraie, il fût surpris de ne pas ressentir de peur. Pour la première fois depuis son arrivé ici, et même si certains jours furent plus joyeux que d'autres, Benjamin ressentit une certaine excitation le parcourir. Enfin, ils avaient quelque chose de concret ! Une piste à laquelle se raccrocher.
— Bon, il faut vraiment se dépêcher, lança la voix de Cassian.
— Oui, allons-y, soupira Méryne, j'espère que ça en vaut la peine.
— Méryne ! gronda Cassian, on en a déjà parlé !
— Je sais, répondit la jeune fille, la voix légèrement cassée, tandis que Benjamin essayait de se souvenir quand ils avaient parlé des doutes de Méryne, je sais, répéta-t-elle comme pour s'en convaincre elle-même.
L'Orangeois baissa les yeux, son excitation retombant comme un soufflet, laissant place au serpent acidulé de la culpabilité qui en profita pour lui broyer l'estomac. Ses amis avaient tout sacrifié pour que ce voyage puisse se faire en toute discrétion. Cassian avait pris des risques inconsidérés pour récupérer les trois billets qui leur permettraient de faire la traversée et Méryne s'était démenée pour faire leurs provisions de viandes, allant jusqu'à se faire saigner les mains à force de tirer. Mais lui, qu'avait-il fait au juste ?
Alors qu'ils embarquaient à bord du navire, Benjamin se promit de faire son maximum afin de ne plus être un poids pour eux. Le jeune garçon, malgré l'étau de peur qui lui tordait les boyaux, était prêt à tout pour prouver qu'il était digne de la Tisseraie, malgré la peur qu'il ressentait face à ce que cet engagement impliqué. Digne de ses amis, même si il ne les connaissait que depuis peu et qu'il ne savait, en réalité, pas grand-chose d'eux, tout comme eux ne savaient que quelques bribes de sa vie. Oui, il le savait. Il n'avait pas le choix. Non. Mieux. A ce moment précis, il se sentait capable de tout faire. Et à leur arrivé sur l'île, il saurait comment manier la Tisseraie. Quel qu'en soit le prix.
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Le brodeur de rêves - Tome 1 - L'héritage de Garamaé
FantasíaL'équilibre de Garamaé fut rompu il y a de cela des siècles, lorsque le Marchand de Sable trahit le Brodeur de Rêves. Le monde fût alors plongé dans le chaos avant de renaître de ses cendres. Mais sans les maîtres de la nuit, Garamaé peut-il vraimen...