5. Les jumeaux de feu et de glace

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La jeune fille se releva, son ombre dansant à la lueur du feu qu'elle venait d'allumer, s'étirant de façon inquiétante sur les murs de la caverne. Cette dernière était d'ailleurs tellement humide que Benjamin se demandait comment la jeune fille s'y était prise pour faire partir son feu. Benjamin frissonna et se rapprocha des flammes, laissant sa morsure brûlante le traverser. Que faisait-il ici ? Pourquoi cela lui arrivait-il à lui ? Partagé entre crainte et excitation, le jeune garçon ne savait plus très bien si il devait rire ou pleurer de la situation. Tout était confus dans son esprit. Il essayait de se persuader que ce n'était qu'un rêve, qu'il allait se réveiller d'un moment à l'autre, mais les sensations, la chaleur du feu, ses muscles endoloris, la faim qui lui broyait l'estomac...tout cela était bien trop intense, bien trop réel pour n'être qu'une invention de son esprit.

— Reprenons les présentations, lança une voix, le sortant de ses pensées, je m'appelle Méryne, et lui c'est mon frère...

— Cassian le magnifique, le coupa le jeune homme en tendant sa main à Benjamin.

— Ou plutôt celui qui prend ses rêves pour la réalité, ajouta Méryne en roulant des yeux.

Benjamin les observa à la lueur dansante du feu. Ils avaient trouvé refuge dans une grotte dont le locataire, une sorte d'ours miniature, s'était retrouvé embroché au-dessus d'un feu de camp improvisé par Méryne. Le jeune garçon recroquevillé sur lui-même, la lame du Tisseraie posée à même le sol face à lui, lançait à la fraterie des regards mi-inquiets, mi-curieux.

— Je m'appelle Benjamin, répondit-il d'une voix enrouée, oubliant qu'il s'était déjà présenté un peu plus tôt.

Maintenant qu'ils étaient en sécurité, bien que relative, dans un endroit calme, l'Orangeois prenait conscience de la situation dans laquelle il se trouvait : seul, avec pour compagnons deux étrangers dont il ne connaissait rien, dans un endroit totalement inconnu, qui plus est dans un autre monde, avec pour seule arme de défense une aiguille à tricoter portant le doux nom de Tisseraie. Aiguille que les deux personnes face à lui semblaient bien connaître.

— Comment as-tu trouvé la Tisseraie ? demanda Méryne, le regard pétillant, l'as-tu volé à un dragon ? Fais venir à toi par magie ? Non ! Je sais ! Tu as utilisé un puissant pouvoir d'attraction !

— Non, souffla Benjamin, hagard, je...Je l'ai trouvé. Elle était cachée dans un mur. Je l'ai récupéré, emmené chez moi. Quelques jours après, quand j'ai voulu l'observer de plus près, je me suis coupé avec. Je me suis endormi, comme d'habitude, et je me suis réveillé ici.

— Ce qui explique cet étrange accoutrement, souligna Méryne avant de se faire pincer par Cassian, quoi ? Qu'est-ce que j'ai dis de mal ?

Benjamin baissa les yeux sur son pyjama poussiéreux à l'effigie des pyjamask et rougit. Il l'avait depuis quatre ans maintenant, et, même si d'ordinaire il le laissait au fond de son armoire, il avait été obligé de le mettre la nuit dernière. Maintenant qu'il avait quatorze ans, ses parents estimaient qu'il était assez grand pour faire lui-même sa chambre sans qu'ils aient à venir contrôler. Ce qui incluait de changer lui-même ses draps, mais aussi de ne pas laisser traîner son linge sale. Si la première étape ne posait pas trop de problèmes, Benjamin avait souvent tendance à reporter la seconde, ce qui avait naturellement mené à rupture des stocks de pyjamas décents dans son armoire.

— Hum oui, répondit le garçon d'une petite voix, bon, comment puis-je rentrer chez moi ?

Cassian et sa sœur échangèrent un regard avant de reporter sur l'Orangeois un air désolé.

— Nous ne le savons pas, l'informa prudemment Cassian, mais tu es en possession de la Tisseraie !

— De la moitié de la Tisseraie, corrigea Méryne.

— Bref ! gronda son frère, ce qu'il faut que tu retiennes, Benjamin, c'est qu'elle ne t'a pas choisi par hasard. La tisseraie est l'instrument du brodeur de rêves. Si elle t'a été transmise, alors, cela signifie que tu es son successeur. Et que l'ancien est mort, ajouta Cassian en penchant la tête, mais puisque personne ne l'a vu depuis des années, il est possible que la place soit vacante depuis longtemps.

— Le brodeur de rêves ? C'est quoi ça? Votre marchand de sable local ? ironisa Benjamin sous le coup de la panique.

— Ne sois pas ridicule, le reprit Méryne, le marchand de sable et le brodeur de rêves sont complètement différents. Tout le monde sait ça !

Mais, voyant le regard perdu du garçon, la jeune fille soupira.

— Explique-lui, Cassian. Pendant ce temps, je vais nous servir du Noursyn.

Cassian se redressa, ébouriffa ses cheveux d'une main tout en prenant un air important.

— C'est parti pour le cours, Benjamin ! Bien, alors, par quoi commencer ? D'un côté, il y a le marchand de sable qui, comme tu le sais, distribue son sable pour faire dormir les gens. Et d'un autre côté, il y a le brodeur de rêves qui passe après lui pour...broder les rêves. C'est très utile pour les présages, les rêves prémonitoires, faire passer des messages. Du moins, c'est ce qu'on nous explique enfant. Enfin tu vois le genre ?

— Heu...Non, pas vraiment, répondit Benjamin, à moins que tu sois en train de m'expliquer qu'en gros, en temps que brodeur de rêves, je peux quoi ? Contrôler les rêves ? Imposer, par exemple, à ta sœur de rêver d'un gros ours en tenu de serveur, dansant la macarena ?

— Je ne sais absolument pas de quelle danse tu parles avec ta reine macaque, mais non, ça ne fonctionne pas comme ça, intervint Méryne entre deux bouchées, le brodeur ne choisi pas les rêves, ça ne marche pas ainsi. C'est même impossible, d'ailleurs.

— Si, en théorie, ça l'est, la contredit Cassian, mais cela fait parti des tabous. Le brodeur de rêves doit seulement lire les cœurs, les émotions et les désirs les plus profonds et les broder dans l'esprit de la personne.

— Mais, comment ça marche ? Comment puis-je faire ça ? Je n'ai jamais rien brodé de ma vie, moi ! Non ! Je ne peux pas. Trouvez quelqu'un d'autre !

Cassian et Méryne échangèrent un regard désolé qui ne passa pas inaperçu par Benjamin.

— Je suis désolé, Benjamin, le jeune garçon s'affaissa avant même que Cassian finisse sa phrase, mais c'est impossible. Personne ne peut prendre ta place. Et si tu refuses ton rôle alors...ce n'est jamais arrivé je crois, mais si tu abandonnes, nous serons tous condamnés.

Le brodeur de rêves - Tome 1 - L'héritage de GaramaéOù les histoires vivent. Découvrez maintenant