3. Rencontre Fortuite

104 20 46
                                    

Un courant d'air fit trembler le corps de Benjamin qui se retourna en grognant. D'un geste de la main, il tenta de récupérer sa couverture mais ne rencontra que du vide. Soupirant, il tâtonna le sol, mais ses doigts se refermèrent non pas sur la douceur d'une chaleur promise, mais sur la lame acérée d'une lance. Poussant un cri de douleur, le jeune garçon se redressa.

Tout d'abord, il remarqua la longue entaille qui se profilait sur sa main, du pouce à l'auriculaire, fine bande rouge coulant le long de sa paume. Puis, il aperçu l'aiguille, rougit par son sang, reposant à ses côtés. De sa main valide, il la ramassa, essayant de se souvenir du moment où il l'avait récupéré dans son bureau. Enfin, émergeant complètement, il se redressa, tenant fermement l'aiguille dans sa main.

— Qu'est-ce que... ? souffla-t-il, d'une voix enroué, à la fois effrayé et émerveillé tout en calant l'aiguille dans son pantalon, y perçant un trou.

Il se tenait dans une clairière entourée d'arbres immenses. Le ciel, au-dessus de lui, n'était pas bleu, mais d'un violet profond. Bouche bée, Benjamin observa cet étrange phénomène, tournant sur lui-même. Le sol se mit alors à trembler et le jeune garçon se retrouva tirer par la main. Obligé de courir, il eut à peine le temps d'apercevoir la longue tresse rose de celle qui l'obligeait à s'enfoncer dans les profondeurs du bois avant de sentir un violent coup sur le front et de sombrer dans l'inconscience.

— Il revient à lui, informa une voix masculine, dis-moi, je sais qu'on a rien à se mettre sous la dent ces temps-ci, mais de là à tourner cannibales, je ne suis pas convaincu.

Benjamin essaya d'ouvrir les yeux, mais une violente migraine l'obligea à les refermer.

— Ne sois pas ridicule, répondit une autre voix, féminine cette fois, si je ne l'avais pas tiré avec moi, il se serait fait tué par sa simple présence.

— D'où vient-il ? reprit le garçon inconnu, il porte de drôles de vêtements. Je ne pense pas que ce soit un Garamaeum...où alors notre chère souveraine a d'étranges goûts en matière de style.

Le coeur battant à vive allure, Benjamin écoutait cet étrange échange. Dés qu'il avait entendu parler de cannibalisme, et bien que, dans le brouillard de son réveil, il ne soit pas sûr d'avoir bien entendu, il avait préféré garder les yeux fermés, essayant de se souvenir de ce qui venait de se passer.

— Un espion ? Dans ce cas, il faut l'éliminer ! s'exclama la fille tandis qu'un bruit de lame que l'on sort suivit ses paroles.

— Attends ! l'arrêta la voix masculine, regarde qui arrive ! Ecoute-le d'abord. Peut-être qu'il sait d'où ce garçon vient.

Pour ne pas céder à la tentation d'ouvrir les yeux, et ainsi de donner à ses ravisseurs une raison de l'achever, Benjamin ferma plus étroitement les paupières. S'en suivit un incompréhensible échange de sifflements impossible à reproduire par des cordes vocales humaines. Ce constat ne fit qu'accroître le malaise du jeune garçon qui, poussé par le besoin de savoir à quoi ou à qui il avait à faire, ouvrit les yeux.

La première chose qu'il vit fut un toit de branchages tressés en forme de dôme. Tournant la tête, il comprit qu'il était dans une sorte d'igloo végétal dont l'unique sortie, à moins de trois mètres de lui, était gardé par deux silhouettes discutant devant un feu. Benjamin se leva en essayant de faire le moins de bruit possible et avança vers eux. La fille produisait d'étranges sons devant une sorte d'oiseau au plumage rouge et or qui, sous la stupéfaction de l'Orangeois, semblait lui répondre.

— Ce n'est pas très poli d'écouter aux portes, lui dit soudainement la jeune fille en se retournant.

— Comment sais-tu que j'étais là ? demanda Benjamin, rouge de la honte d'avoir été surpris.

— L'oiseau me l'a dit, répondit-elle comme si c'était évident, il m'a aussi dit qu'il t'a vu apparaître de nulle part. Dis-nous pour qui tu travailles ? demanda-t-elle brusquement en se redressant, un arc pointé sur lui, dis-le nous et ta vie sera peut-être épargnée.

— Méryne ! s'exclama le jeune homme à ses côtés en posant une main sur l'arc, laisse-le s'expliquer. Je t'ai déjà dis que...

— Tu es trop gentil, je te l'ai déjà dis, le coupa Méryne avec hargne, tu laisserais la sorcière s'expliquer, malgré tout ce qu'elle nous fait subir.

— Très bien, soupira son acolyte, fais ce que tu veux, mais ne lui fais pas de mal tant que l'on a pas obtenu de réponses, s'il te plaît. Pas comme...

— C'était une erreur, grogna Méryne, et je t'ai déjà dis de ne plus aborder ce sujet. Bien, revenons-en à toi. Qui es-tu ?

Benjamin déglutit tandis que la jeune fille enfonçait légèrement la pointe de sa flèche sur sa gorge, lui faisant ainsi comprendre qu'elle n'accepterait aucun mensonge de sa part, ou du moins, ce qu'elle considérerait comme tel.

— Je...je m'appelle Benjamin. Je ne sais pas comment je suis arrivé ici, expliqua-t-il sans reprendre son souffle, je viens d'Orange, une ville. Je...j'ai trouvé une aiguille l'autre jour. Je me suis piqué avec et je me suis réveillé ici. Je ne vous veux aucun mal, je vous le promets, je veux juste...

Sans le laisser finir, l'acolyte de Méryne fouilla Benjamin et en tira l'aiguille de son pantalon. Méryne et lui échangèrent un regard abasourdi.

— Ce serait...la Tisseraie ? Demanda l'homme.

— Non ! Impossible ! Souffla la jeune fille, perdant son arrogance.

— Et ce garçon serait...continua l'homme en fixant Benjamin, sans prendre en compte l'interruption de Méryne.

Mal à l'aise devant leurs regards, Benjamin se dandina d'un pied sur l'autre. Il ne comprenait pas ce qu'ils avaient en tête, mais manifestement, cette aiguille était importante pour eux. Si ce n'était que ça, il était prêt à leur laisser, du moment qu'il pouvait retourner chez lui rapidement. Il avait froid, il avait soif, il avait faim, et était littéralement mort de peur. Si l'idée de vivre une grande aventure le séduisait quand il était bien au chaud dans sa chambre, Benjamin se rendait désormais compte que la réalité dépassait largement ses fantasmes. Et pour le moment, ce n'était pas vraiment dans le meilleur sens du terme. Depuis combien de temps était-il parti ? Ses parents s'en étaient-ils aperçus ? Ou bien, à l'image de Narnia, le temps de son monde était suspendu tant qu'il serait ici ? Et les deux personnes face à lui, que comptaient-ils lui faire ? Après tout, ils parlaient de le tuer et de le manger il y a quelques minutes à peine. Qu'en était-il maintenant qu'ils avaient découvert que Benjamin avait sur lui cet étrange objet ? D'ailleurs, qu'est-ce que c'était au juste ? Les questions fusaient dans l'esprit de Benjamin, si vite qu'elles lui donnèrent la migraine. A bout de nerf, le jeune garçon ne put retenir les larmes qui coulèrent le long de ses joues. Pourquoi avait-il ramassé ces foutus aiguilles ? Si seulement il les avait laissé là où elles étaient...Mais malgré ses doutes, sa fatigue et sa peur, l'adolescent savait qu'il n'aurait jamais pu les y laisser. Il n'aurait eu de cesse d'y penser, comme si, et cette conviction le perturba bien plus que tout ce qu'il venait de vivre, ces aiguilles lui étaient prédestinées.

Le brodeur de rêves - Tome 1 - L'héritage de GaramaéOù les histoires vivent. Découvrez maintenant