Il me faut de longues secondes avant de réaliser la situation. Nous sortons de nulle part, pour la plupart d'entre nous couverts de sang, nos vêtements déchirés laissant apparaître les hématomes et brûlures. Mes cheveux blancs sont parsemés d'éclaboussures marrons, je sens une odeur forte de sang putréfié sur mes vêtements. Je constate que je ne suis pas la seule, en voyant Valkin s'écarter et froncer le nez. En face de moi les hommes s'agitent, tous viennent voir l'apparition miraculeuse ; et on peut aisément entendre les murmures circuler dans les rangs. Nous sommes éreintés, je sens mes jambes lourdes, mes doigts me font mal, et j'ai la désagréable sensation d'avoir une plaque de plomb entre chaque vertèbre. Je trouve quand même la force de lever les yeux pour observer autour de moi. Si je ne reconnaissais pas la capitainerie, je douterais d'être à Ikhâr, tant la ville paraît vide. Un hameau silencieux se tient devant nous, avec ses petites ruelles discrètes, mais plus la moindre caravane marchande ; plus d'attroupement hormis celui de notre équipage. Mes compagnons semblent aussi fourbus que moi, et cette odeur commence sérieusement à me déranger. Je rêve de me plonger dans un bain d'eau chaude et de m'y endormir.
Nous passons quelques minutes à faire le point pour apprendre que la literie n'est pas tout à fait prête ; nous sommes alors guidés jusqu'à l'Hallucinose où une chambre nous attend. Je me sens finalement trop fatiguée pour demander à faire monter un bac d'eau et du savon ; je décide de simplement me rincer à l'eau claire. Ma chevelure a pris une ignoble teinte rose qui colore l'onde à son contact. Je fini par me coucher après avoir frotté le cuir de ma tenue pour retirer cette puanteur. Mais pour une fois les armes et les chausses attendront demain ; je m'empresse de fermer les volets pour obtenir une obscurité apaisante. Je me glisse avec un soupir de satisfaction dans les draps ; et je dois avouer que même si j'aime camper au contact de la nature, le confort d'un matelas est toujours agréable. Ma tête se perd dans l'épaisseur de l'oreiller de plumes. Je peux déjà entendre des ronflements que je ne cherche pas à identifier. Je ferme alors les yeux et glisse dans un profond sommeil sans le moindre mal...
Je me réveille, ouvrant les yeux lentement, la lumière du jour dépasse par l'alcôve de la fenêtre ouverte. Elle est ouvragée, des entrelacs tracés en bas-relief dessinent son contour, laissant apparaître de somptueux motifs végétaux qui paraîtraient réalistes s'ils n'étaient pas aussi pâles. J'écarte alors les draps blancs et soyeux pour sortir du lit, et remarque que la pièce ne comporte pas d'autres meubles. La lumière provient en réalité non pas d'une fenêtre mais d'une porte à doubles battants donnant sur une terrasse. Lorsque je passe le seuil, j'aperçois alors devant moi une silhouette, aux longs cheveux d'un gris argenté, appuyée contre le garde-corps. Elle se tourne vers moi, et je distingue la pointe de ses oreilles, sa peau d'un blanc cendré, sa robe, finement brodée de fil d'or, qui confirme son sang elfique. Sur ma droite, je vois le garde-corps se terminer sur un escalier de plusieurs marches menant plus bas. Alors que je me tourne vers cette elfe, sa peau laiteuse se craquèle, pour laisser apparaître une chair de magma, qui semble suinter des fissures avant de laisser les éclats de peau se détacher et tomber au sol, dans un son brisé. Son regard me fixe avant de se perdre à nouveau vers l'horizon. Mes yeux suivent son regard et je suis frappée d'effroi devant le spectacle qui s'offre à moi. Une cité, levant au ciel ses tours d'albâtre ouvragées, laisse apparaître, depuis notre promontoire, ses toits de tuiles claires qui reflètent la lumière du soleil. La ville est entourée d'arbres morts. Ils semblent brûlés sans pour autant que je puisse distinguer le moindre signe de combustion. La nausée monte dans ma gorge et je sens mon ventre se tordre... Au milieu de cette métropole silencieuse, déambulent des hordes de créatures difformes aux membres putréfiés. Et aucune autre âme ne semble s'opposer à ces être humanoïdes, bougeant leurs chairs, molles et sanguinolentes. Certaines menacent de se détacher de leurs articulations, laissant apparaître d'horribles moignons à la couleur verdâtre. Quelques-unes de ces créatures sont au pied de l'escalier, tentant une ascension pour atteindre la terrasse où je me situe, s'appuyant sur leurs bras pour tirer leur carcasse dans un bruit humide répugnant. Leur peau marbrée de bleu laisse apparaître les vaisseaux sanguins durcit par la coagulation, leurs gueules avides et dentées sont ouvertes sans pour autant produire le moindre son. Derrière moi, l'elfe se retourne faisant frotter les plis de sa robe bleu contre le sol. Elle me fixe de ses yeux, d'un rouge carmin, à la pupille presque inexistante ; et d'une voix neutre, asexuée j'entends sortir de ses lèvres un mot qui me glace : « MERCI ».
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Les Mémoires d'Helledwen, l'Elfe de Sang. Chroniques d'Oblivion
ÜbernatürlichesIl s'agit d'un récit de campagne de jeu de rôle : "Oblivion". Romancé sous le nom des Mémoires d'Helledwen, une Elfe de Sang d'un peu plus de vingt ans, amnésique et recluse. Avec son ami Eiffor, ils partent en quête de réponses après avoir fait de...