Les Mémoires d'Helledwen, l'Elfe de Sang. Chroniques d'Oblivion

Chapitre 3 la Voie du Khayolte

Au lendemain matin nous retrouvons nos trois compagnons de fortune ; ou d'infortune plutôt. Et ces trois idiots annoncent sans le moindre tact qu'ils ont retrouvé un homme disant s'appeler Nalfgar et qui serait le grand père d'Eiffor. Je vois son visage blanchir, ses yeux deviennent vagues et il tombe au sol. Au bout de longues secondes il se relève, la détermination est sur ses traits. Il empoigne Vy, exigeant des détails et des réponses. Il se retient de les empaler sur place, même moi je n'aurai pas fait meilleure intimidation.

Mais d'après ce que j'ai appris la veille, cet homme était un héros de guerre célèbre et reconnu, qui aurait disparu depuis vingt-cinq ans. Et malgré les recherches organisées par le Saint Protectorat, il n'a jamais été retrouvé. Comment pourrait-il se trouver ici, justement le jour où Eiffor et Malathor s'y retrouvent après des années ? Pourquoi n'est-il jamais retourné auprès de son ordre ? Pourquoi n'a-t-il jamais donné de nouvelles à son petit-fils en plus de deux décennies ? Je crains un vulgaire piège.

Eiffor s'empresse malgré ma mise en garde de se rendre à l'Hallucinose où se trouve cet homme. Je peine à le suivre (le bougre ! Il sait courir quand il s'agit de ses intérêts). Je n'arrive que plus tard pour découvrir leur face à face. Devant Eiffor se tient un homme grand et d'une bonne carrure. Je reconnais les cheveux argentés des Aasimars. Il a le visage carré, marqué par le temps mais ses yeux dorés pétillent encore. Je ne ressens aucune essence d'un Fiélon qui aurait pris la forme de l'inquisiteur disparu, rien qui pourrait prouver une illusion, mais cela ne me plait pas. Mon instinct me dit de me méfier. Je les laisse pourtant s'installer à l'écart, se tenant mutuellement par les épaules, comme si le contact était le seul moyen de rattraper ainsi le temps perdu. Nalfgar dit entendre dans ses rêves une petite fille l'appeler, une voix douce, pleine de bonté. Croyant à un appel de Justicaar il serait parti sans laisser de trace courant après cette voix tout ce temps. Voilà pourquoi je hais ceux qui croient trop en leur divinité. Ils font des choses stupides et blessent les autres. Fanatiques dégénérés.

C'est finalement bien plus tard, accompagnés par un Malathor tout aussi secoué par ces retrouvailles, qu'ils se rendent à la capitainerie, pour y rencontrer Löne Khernos, l'Elfe qui hante nos rêves. De mon côté je vais faire des emplettes, cherchant quelques pierres précieuses mais surtout je parviens à revendre le collier de la déesse que j'avais gardé tout ce temps sur moi. Je finis par acquérir deux ambres jumelles, aux éclats d'or. J'entends alors du raffut venant de la place et y retrouve, évidemment, ces trois stupides civils qui nous servent de compagnons en plein combat avec un Hibours. Je ne sais par quel miracle ils parviennent à le tuer, mais ils m'ont gâché le plaisir de faire goûter un peu de sang à mes dagues. Le trio de Justicaar finit par nous rejoindre bien plus tard. Pas de Löne Khernos, mais trois capitaines, qui leur ont visiblement expliqué que pour le rencontrer il faudra passer une série de tests, appelée la sentence des vents, dans le but de devenir capitaine de leur Compagnie et ainsi rencontrer Löne qui en serait le propriétaire. J'avoue avoir d'autres projets en tête, mais la désertion est toujours une possibilité. J'imaginais que l'Elfe serait plus qu'un simple patron d'une compagnie marchande, j'en viens à penser que peut-être il s'agit d'un homonyme et que nous faisons fausse route.

Nous sommes convoqués au lendemain matin par Fan'goriah, l'une des capitaines de la veille. C'est une belle femme à la peau mate, des cheveux d'un blond polaire coupés courts, un visage ferme mais bienveillant. Elle porte une longue robe blanche rehaussée d'un fin liseré doré et qui semble être une personne importante dans la compagnie, rejoints par un gnome qui nous déjà avait abordé la nuit précédente avec deux frères qui semblent se partager un même cerveau tant ils sont limités. Mais qu'importe, les jumeaux ont été égorgés dans la nuit. Quel dommage. Nous montons tout de même pour observer les blessures, et trouver un potentiel coupable mais rien, si ce n'est que les blessures sont étranges : deux trous béants dans leur gorge, veinés de noir, rien que je n'ai pu voir de similaire jusqu'à maintenant, mais leur plaie semble à la fois fraîche et nécrosée.

Fan'goriah nous bande alors les yeux, nous menant à une carriole où nous installons en silence. Le voyage est long et inconfortable, mais après plusieurs heures le véhicule s'arrête enfin, dans un endroit inconnu, une sorte de grande plaine, loin de la ville. Une fois sur place, elle nous annonce la série de tests que nous allons devoir effectuer. La première, la voie du Khayolte, consiste à ingérer du Khayolte, un champignon importé par Löne Khernos et qui permettrait de visualiser les vents et ainsi naviguer dans les airs. Le goût est étrange, amer. Rapidement les effets se font sentir, d'abord par la perte de sensations, puis une bienfaisance, un vertige agréable qui s'empare de mon corps dans un kaléidoscope de couleurs, me laissant dans le vague avant de reprendre pleinement conscience. A mes côtés, Eiffor rit, franchement et bruyamment, encore sous les effets de ce champignon hallucinogène. Nous reprenons nos esprits lentement, certains plus facilement que d'autres. Nous devrons ensuite suivre la voie du Vent en chevauchant des hippogriffes. Les créatures majestueuses ne se montrent pas méfiantes, et acceptent gentiment de nous laisser monter sur leur dos. D'un puissant coup d'ailes ma monture me propulse dans les airs, réalisant un ensemble de figures complexes qui me font presque perdre l'équilibre, se déplaçant à une vitesse grisante. Avec plus de peur que de mal, nous parvenons tous ou presque à réussir l'épreuve. Cette idiote de barde se montre plutôt douée, je l'aime encore moins.

Dernière épreuve, la voie de l'ombre, qui consiste à nous guider à travers des galeries souterraines et humides. Nous sommes divisés en deux groupes : Eiffor, moi-même ainsi que nos trois compagnons de voyage, et de l'autre côté Malathor, le gnome et Nalfgar. Habituée de la traque, je suis les courants d'air pour identifier les boyaux souterrains qui nous mèneront à la souche de Khayolte que nous devrons apporter. Nous débouchons sur une vaste grotte, faiblement éclairée. Au fond nous reconnaissons une champignonnière et la couleur orange et cuivrée du Khayolte que nous devons rapporter. Vy s'approche d'une mare au fond indiscernable et penche sa tête vers la surface de l'eau pour "observer son reflet étrange" nous dit-il. Le laissant jouer avec son reflet, nous récupérons une souche de champignon faisant demi-tour pour repartir. Quand soudain, ce fils des Enfers, toujours courbé sur la mare, finit par se faire happer le visage par une créature ignoble qui en sort, une Mantobscure. Pour faire simple, cela ressemble à une pieuvre large dotée d'yeux sur toute la circonférence de son corps. Cette dernière entoure la gorge du Tieffelin, le faisant suffoquer de coller son corps répugnant à son visage accentuant l'étouffement. Utilisant un sort de sommeil nous parvenons à l'arracher de son visage lui sauvant ainsi la vie. Ramenant sa maudite souche de champignon, Fan'goriah semble surprise et embarrassée de savoir que des Mantobscures étaient ici. Les champignonnières ont pourtant été contrôlées récemment et il ne devrait pas y avoir ce genre de créature ici, nous assure-t-elle. Le groupe de Malathor, Raavi et Nalfgar sort à son tour, eux aussi avec deux cadavres de Mantobscures. Je n'aime pas ça. Nous attendons de longues minutes que Fan'goriah prenne une décision. Elle invoque alors un colibri de cristal pour envoyer un message. Ce dernier lui revient, et se tournant vers nous elle nous annonce, le visage souriant, que Löne Khernos est prêt à nous recevoir.

Mon cœur bat la chamade, mon ventre se tord à l'idée de le rencontrer, mais aura-t-il les réponses à mes questions ?