La nuit est encore noire quand je me réveille. Ou plutôt quand j'ouvre à nouveau les yeux. La vision d'horreur à laquelle nous avons tous été soumis était puissante. Impossible pour moi malgré mes efforts pour me rendormir. Nous n'avons pas parlé, nous savons tous ce que nous avons vu et il nous est inutile de revenir dessus. Chaque élément est plus traumatisant l'un que l'autre, et je n'ose imaginer l'état de Tess. Des enfants... ce sont des enfants que l'Ecorcheuse transforme lentement en monstres, des machines à tuer et à sacrifier au gré de ses besoins. A cette heure, la sœur de Tess pourrait déjà avoir gonflé ses rangs sans qu'on le sache. Eiffor a allumé une bougie, peut-être pour apporter un peu de lumière dans l'habitacle ou tout du moins chasser un peu l'obscurité. Tess est couchée, mais elle ne dort pas. Personne ne parle et en même temps, parler pour dire quoi ? Agacée, je finis par quitter la pièce sans un mot, me faisant discrète pour ne pas réveiller les hommes qui dorment dans la cabine adjacente. Je passe par les cales pour récupérer une bouteille de vin rouge et un verre.
Je n'ai pas mis mes bottes, enfilant tout juste mon pantalon de cuir et une ample chemise blanche. Le bois vernis est froid sous mes pieds mais j'aime son contact. Une fois dehors je salue le timonier de nuit avant de me poser sur le pont inferieur, près de la proue, au plus proche du grand aigle noir. Avisant un tas de cordes d'amarrage, je m'y installe comme dans un hamac, laissant mes jambes retomber mollement. J'ouvre la bouteille de vin et en bois une large rasade avant de faire couler le breuvage dans le gobelet. J'ai de la chance, dans la pénombre je suis parvenue à dégoter l'une des rares bouteilles de vin elfiques que l'on peut trouver sur le marché. Il n'est pas aussi fruité que les vins rouges humains, ni aussi tanniques et puissants que les vins nains, mais c'est exactement ce qu'il me fallait. Les raisins sont blancs, parfumés et sucrés, et donnent un jus doré, comme du miel. Ils n'ont rien de magique, mais le savoir faire elfique a permis d'obtenir un vin suave, qui laisse une fine pellicule de sucre sur la langue, donnant l'impression de boire du fruit confit, ce qui les rend plus faciles à boire et pourtant, ils sont aussi alcoolisés que n'importe quel autre vin. Celui-ci n'est ni le plus fin ni le plus travaillé, mais son goût me rappelle celui d'une gelée de coing et cela me convient. J'avale mon verre en profitant de la douceur de l'alcool avant de m'en servir une nouvelle coupe. Je laisse un moment mes yeux divaguer dans le ciel, observant les étoiles, réfléchissant à la situation. Pour l'instant nous avons réussi à donner la matrice et le deuxième fragment à notre ennemi, mis Sinsemillia en danger de mort (si elle est toujours vivante), et j'ai moi-même fait disparaître Grisou qui était notre seul lien avec Reghulus...
A nouveau j'avale une rasade de vin. Toute cette histoire d'Oblivion, de monde fermé d'Ecorcheuse... tout ça commence à me dépasser et j'en viens à me demander ce que Löne a vu en nous, comment a-t-il pu croire que nous serions une aide efficace pour ce projet ? Penser à lui me fait toujours mal. Je doute qu'un jour cette blessure ne se referme, mais je ne veux pas le décevoir, je ne veux pas l'oublier. Je vide mon verre et me ressers. C'est vrai... j'ai l'alcool triste La mélancolie est un sentiment auquel les elfes sont plus sensibles, à ce que l'on dit, en tout cas je ne suis pas une exception à la règle. Un peu plus loin je reconnais une masse de cheveux rougeâtres, et notre barde a visiblement visité le stock de vin elle aussi, au vu de la bouteille qu'elle porte à sa bouche. Une goutte carmin glisse de ses lèvres pour fleurir sur sa tunique claire, mais elle n'a pas l'air de le remarquer, les yeux dans le vague. Demain en fin de journée nous arriverons à Protéos, sa ville. Il va falloir que je me montre prudente, cela fait longtemps que je n'y ai pas mis les pieds, mais j'ignore si mon nom d'assassin résonne encore dans les ruelles. Contrairement à certains « collègues » je n'ai pas vraiment de contacts ou de relation, les tueurs sont rarement solidaires et parfois dangereux pour leurs semblables. Il y aura peut-être un ou deux concurrents qui cherchera à me mettre le grappin dessus, en plus de la garde. Cette ville m'inspire presque aussi peu qu'Anthéone. Mais pour l'instant nous sommes sur la gondolfière, j'ai de l'air frais, un lit de cordes adapté à défaut d'être confortable, du bon vin, alors je préfère boire.
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Les Mémoires d'Helledwen, l'Elfe de Sang. Chroniques d'Oblivion
ParanormalIl s'agit d'un récit de campagne de jeu de rôle : "Oblivion". Romancé sous le nom des Mémoires d'Helledwen, une Elfe de Sang d'un peu plus de vingt ans, amnésique et recluse. Avec son ami Eiffor, ils partent en quête de réponses après avoir fait de...