Chapitre 6 Anthéone

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Nous appareillons au matin. Dragos est déjà sur le pont, le visage fermé, tandis que les hommes affichent une mine dégoûtée ou inquiète en nous voyant embarquer le corps sur la gondolfière. Ce dernier avait été préparé par le prêtre la veille, l'enveloppant dans un linceul de velours noir brodé d'argent, qui ralentira la putréfaction. Nous isolons ce dernier dans la cale, dans une pièce fermée sans le moindre autre élément, annonçant aux hommes de ne pas s'en approcher. Je n'aurai pour ma part pas eu le temps de saluer Maître Haarn une dernière fois, mais au moins ai-je pu lui laisser mes coordonnées. Le décollage se fait rapidement, les aéromarins ayant anticipé ce départ. Comme à mon habitude, je me rends en cabine pour décharger mon matériel, mais aussi pour y préparer du matériel d'écriture, avant de ressortir sur le pont pour contempler Wissenheim des hauteurs. Nos hippogriffes se mettent à tracter le bâtiment avec force et nous prenons de la vitesse. Si les vents sont avec nous, Anthéone nous accueillera dans la troisième journée. Dragos s'approche de nous pour nous glisser discrètement « évitez de transformer la compagnie en convoi mortuaire... » avant de s'éloigner. Les hommes ne sont pas ravis, et de ce que j'apprends, transporter un cadavre apporterait le mauvais œil, malchance. Des superstitions, mais il nous faudra justifier nos récente actions et regagner leurs confiances. Je m'attèle à les aider à rouler les cordages, à la fois pour me mêler à eux comme au cours de nos premiers voyages mais aussi parce que ce navire est sous ma responsabilité en tant que capitaine, tout comme mes compagnons, mais je suis certainement celle qui prend le plus au sérieux cette responsabilité dans son aspect le plus simple. Ces hommes dépendent de nous, tout comme leur sécurité et leur réputation, et les derniers évènements n'ont fait que causer davantage de problèmes, je ne serai donc pas étonnée que la compagnie subisse des rumeurs, pire, nous pourrions perdre la confiance de certains partenaires commerciaux. Pensant au fait que je n'ai toujours pas eu de réponse de Fan'goriah, tandis que j'enroule les cordages avec les hommes, je reconnais parmi eux l'un des aéromarins avec lequel j'ai fait beuverie à Protéos qui m'adresse un sourire franc, quand les deux autres me remercient froidement de mon aide. Vy est à côté du timonier, prenant à cœur le pilotage, Koora comme à son habitude observe les oiseaux et Tess est dans un coin, le grimoire de Clyve sur les genoux. Je vois également Eiffor et Valkin discuter, le gamin semble surexcité à l'idée de retourner à Anthéone. Profitant d'être seule dans la cabine je m'attelle à mon travail, à savoir rédiger toutes les informations obtenues récemment, sur Oblivion, mais aussi et surtout sur mon peuple et ce démon que j'abrite. Je prends soin de le rédiger en elfique, presque codé à travers des abréviations, des métaphores, supposant que je suis la seule à le parler, si jamais quelqu'un venait à fouiner il ne pourrait saisir toutes les subtilités du texte. J'y passe une bonne partie de la journée, référençant un sommaire. Mon cerveau tourne en accéléré alors que je note chaque idée, chaque supposition, chaque interprétation des textes, réalisant des schémas, des frises chronologiques. Quiconque m'aurait vu à ce moment aurait pu me prendre pour une folle ou une maniaque. Finalement épuisée, je referme le volume avant de le ranger dans le paquetage, dîne avec appétit avant de me coucher, m'endormant bien avant mes compagnons.

Les jours suivants se déroulent dans le calme, alternant entre entraînement physique, pilotage, compréhension de la gondolfière de sa structure et de son fonctionnement. Nous arrivons à Anthéone en fin de troisième journée. Valkin s'est jeté contre la rambarde en reconnaissant le flan du volcan sur lequel la cité est bâtie. La cité blanche se dévoile au soleil couchant. Si Protéos était la cité de Platine Anthéone devrait être une cité d'Albâtre. Trois formes reptiliennes apparaissent face à nous, et nous distinguons à mesure que nous approchons. Trois chevaliers à l'armure de plates, chevauchent des dragons, d'un gris acier à la peau écailleuse zébrée d'une couleur rouge sang, et viennent à notre rencontre. Deux d'entre eux se placent de part et d'autre de la gondolfière, faisant quelque peu paniquer les hippogriffes. Je retiens un frisson en observant ces hommes. Leur armure recouvre intégralement leur corps, ne laissant pas apparaître le moindre centimètre de peau. Leur visage est coiffé d'un heaume d'acier, qui dissimule leur visage derrière une grille, et un tabard blanc flanqué du symbole de Justicaar, brodé d'un liseré rouge. Le chevalier de tête nous hurle de nous suivre, avant de descendre rapidement imité par ses comparses toujours à nos côtés. Nous entamons notre descente, passant au-dessus d'un immense terrain peuplé de monde. La cité d'Anthéone est bâtie au creux du volcan éteint, ceinte par une épaisse muraille, et ce que j'avais pris pour le faubourg de la ville est en fait un véritable camp, inondé de marchands, de tentes, d'une foule compacte. Nous atterrissons sans difficulté, nos deux dragons d'escorte reprennent les hauteurs alors que le troisième se pose et descend de sa monture. Le dragon se montre docile, s'ébrouant légèrement en sentant le poids de son cavalier quitter son dos. L'homme se dresse face à nous, annonçant seulement qu'il vient collecter les taxes d'accès à la ville. Eiffor s'approche de l'homme pour lui remettre une lourde bourse, accompagné de Tess, et entame une discussion avec ce dernier. Je reste pour ma part en retrait, la capuche rabattue sur mon visage. Je vois Eiffor exhiber son pendentif d'Inquisiteur, prononçant les noms de Elmer, Baltus sans que je ne comprenne vraiment leur dialogue. Le dragonnier hoche la tête, remonte en selle, et nous adresse d'une voix forte « Bienvenue dans l'Infer » lorsque son dragon d'un violent battement d'ailes s'élève dans les airs, soulevant la poussière autour de lui. Nous débarquons tous, laissant le corps à bord sur consigne d'Eiffor. Ce dernier me fait un signe de la main pour me faire comprendre de dissimuler au maximum ma peau, et je referme ma cape malgré la chaleur étouffante. Je me sens comme une nonne vêtue de noir, ou une veuve, en passant au milieu de ce camp hétéroclite.

Les Mémoires d'Helledwen, l'Elfe de Sang. Chroniques d'OblivionOù les histoires vivent. Découvrez maintenant