Chapitre 2 Bienvenue à Ikhâre

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Mais nous voilà partis pour la cité des Rois Nains avec un Tieffelin naïf, une barde aussi discrète qu'utile et une Drakéide qui a au moins l'avantage d'avoir le goût des belles armes et de la discrétion. Nous avons quitté l'auberge rapidement après notre réveil, cela fait moins d'une heure et je ne supporte déjà plus cette barde. Elle parle à tout va, racontant à qui veut l'entendre des histoires ignobles et scabreuses sur les rois Nains, qui auraient fait ceci ou cela. Ou possédé ceci ou cela. Nous sommes seuls sur la route, c'est bien dommage qu'il soit difficile de cacher un cadavre près des sentiers.

Nous nous arrêtons, quand je repère un endroit idéal pour camper et passer la nuit. Nos échanges sont cordiaux, même si certains parlent davantage que d'autres. Assis autour du feu, nous nous présentons à tour de rôle. Pour ma part je me contente de leur donner mon prénom, expliquant que nous parcourons les routes avec Eiffor. Nous organisons des tours de gardes, je commence le premier quart, et Eiffor terminera. Je n'ai pas spécialement confiance en eux, deux d'entre eux maîtrisent une magie rudimentaire quant à ce Chien de l'Enfer, il ne sait que se battre avec ses poings et refuse de porter une arme tout en babillant des dictons aussi incompréhensibles qu'agaçants. Heureusement rien n'est arrivé dans la nuit, mes cauchemars se sont à peine dévoilés, mais au réveil, il se passe quelque chose d'anormal. Le soleil est haut, trop haut même, et j'entends ronfler... un ronflement que je reconnais. Eiffor. Il s'est endormi pendant son tour de garde, je lui assène alors un violent coup de pied dans le dos pour le réveiller. Et comme toujours lors d'un conflit nous en venons aux mains, bien avant de parler, sans que nos camarades ne s'interposent. Si ce vieux croulant ne tient plus la fatigue qu'il aille en hospice !

Je remarque au loin des traces d'un autre campement, et grimpant j'identifie deux formes, celle d'un être massif, sûrement armé, et l'autre plus petite, peut être un enfant. Je reconnais le symbole de Justicaar sur les rations. J'échange un regard rapide avec Eiffor, qui, le visage sérieux, me le rend. Si des hommes de Justicaar sont dans les parages, il va falloir se montrer discrets, quitte à poursuivre notre route sans le reste du groupe.

Un fermier nous indique la route d'Ikhâr où nous pouvons rejoindre la compagnie des vaisseaux du vent. Nous devons encore marcher plusieurs heures et traverser un large pont, appelé l'Arche de l'Adieu, qui couvre une cascade haute d'une centaine de mètres. Alors que nous voyons, de l'autre côté, les deux tours jumelles qui servaient autrefois de douane, nous sommes attaqués par des Nains. Une flèche se fiche dans mon bras, et je sens un poison se glisser sous ma peau. Je l'arrache dans une giclée de sang, déchirant un pan de ma cape que je noue autour de mon biceps pour limiter le saignement, mais ma tête se met à tourner. Mon bras devient froid, et je tombe à genoux percevant les sons qui m'entourent de façon étouffée. Je bande mon arc, mais je suis trop faible et mes flèches ricochent tandis que le reste du groupe fonce sur nos ennemis. Nous parvenons néanmoins à en abattre deux, j'ai peut-être sous-estimé leurs capacités... Eiffor me soutient pour traverser le reste du pont. Le troisième nain s'est enfui, abandonnant les dépouilles encore chaudes dont nous nous approchons. Un malaise s'installe rapidement en observant leurs visages. Ils sont difformes, comme si leur peau avait fondu sur leur crâne. L'un d'eux à la mâchoire disloquée, formant un angle étrange. L'autre, un œil qui semble couler le long de l'arête de son nez me rappelant du blanc d'œuf presque cuit. Fouillant leurs cadavres, nous y trouvons des fioles de poison et une d'antidote que j'avale aussitôt, mais aussi un avis de recherche, pour chacun d'entre nous et trois autres personnes que je ne reconnais pas, promettant 1000 pièces d'or à qui nous ramènera, morts ou vifs. Je rabats rapidement ce qu'il reste de ma cape sur ma tête pour me dissimuler aux yeux des autres, mais inutile elle tombe en lambeaux. Notre entrée à Ikhâr se passe néanmoins bien, quelques visages étonnés, mais pas de colère ni de regards mauvais ou menaçant. Nous obtenons des informations sur la ville assez rapidement, son fonctionnement mais aussi sur la Compagnie des Vaisseaux du Vent et nous nous scindons en deux. Pour la nuit, Eiffor et moi, nous dormirons dehors.

Du moins c'est ce que nous pensions. Un homme robuste nous tombe dessus au détour d'une ruelle moins animée et, tout sourire, entame la conversation avec Eiffor qui ne semble pas vraiment le reconnaître. Je finis par me présenter vaguement devant son regard de désespoir et j'obtiens alors le nom de ce colosse : Malathor. Je sais à son regard qu'il sait ce que je suis, mais il ne semble pas hostile. Malathor était le disciple du grand-père d'Eiffor, Nalfgar. Ce dernier a disparu il y a un peu moins d'une trentaine d'années alors que mon ami venait tout juste d'être admis dans les rangs de Justicaar pour devenir inquisiteur. Et ni Malathor ni Eiffor n'ont pu le retrouver malgré leurs nombreuses années de recherches. A côté du paladin se trouve un jeune garçon d'une dizaine d'années, blonds aux yeux d'un bleu profond, qu'il nous présente sous le nom de Valkin. Le soldat nous invite alors à partager sa tente pour la nuit, s'éloignant avec Eiffor après avoir demandé à l'enfant de nous installer. Alors que je tente de me montrer gentille avec lui, je ne peux m'empêcher d'entendre la conversation des deux frères d'armes à l'extérieur, où je comprends que l'homme cherche à obtenir des informations. Eiffor reste évasif quant à moi, tout autant que Malathor quand il lui retourne la question, parlant du gamin. L'homme ne veut pas parler, mais peut être que le petit sera plus bavard. Il est toujours bon d'avoir des infos sur ceux qui pourraient devenir un risque, surtout si ces infos peuvent être compromettantes. Lui adressant un sourire, je lui demande s'il est apprenti chevalier. D'abord hésitant, il ne me répond pas franchement, me disant que c'est un secret. Négociant avec lui, je lui propose d'échanger son secret contre le mien. Valkin acquiesce, plus en confiance, et m'apprend alors que Malathor l'a recueilli il y a plusieurs années au cours d'une mission, devenant ainsi son père adoptif. Le gamin a à peine une dizaine d'année, il devait être tout petit lorsque de paladin l'a sauvé et ne connait rien de ses parents biologiques. Je comprends vite que ce secret est en fait un moyen de dissimuler leur lien à son ordre. En effet, il est plutôt mal vu que les paladins et inquisiteurs ne s'attachent et fondent une famille, leurs supérieurs craignant qu'ils ne se détournent de leur voie et fassent preuve de sentiments ou de pitié au moment d'exécuter les ordres. Cet enfant m'inspire beaucoup de choses, je me revois un peu à travers lui, et décide de lui avouer que bien que je ne sois pas une inquisitrice, Eiffor est lui aussi comme un membre de ma famille, mais que cela ne doit pas se savoir. Je sais que, tout comme nous, Valkin et Malathor pourraient être en danger si le Saint Protectorat découvrait le lien qui les unit. Je hais ces règles stupides.

Nous passons une nuit agréable, et malgré son statut de Paladin, Malathor s'est montré amical. Il était là le soir où nous nous sommes retrouvés face à ces cadavres-araignées, c'était lui le colosse à l'épée. Il a disparu dans la nuit et est réapparu bien plus tard dans la journée. Valkin s'est donc retrouvé seul en pleine nuit, effrayé. Je crois que c'est à ce moment que j'ai commencé à changer, et à me dire que peut-être, plutôt que d'être un outil de vengeance pour les autres, je pourrais protéger des gens comme Valkin. Je ne suis pas sentimentaliste pourtant. A quoi je pense ?

Les Mémoires d'Helledwen, l'Elfe de Sang. Chroniques d'OblivionOù les histoires vivent. Découvrez maintenant