Chapitre 14 Dans l'antre du Chaos

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Je me sens lourde, engourdie tant dans mon corps que dans ma tête. Je remue à peine, fixant le firmament immobile. J'ignore combien de temps je suis restée là à scruter les étoiles sans m'en rendre compte, somnolant les yeux ouverts, trop effrayée pour me rendormir, et trop fatiguée pour rester consciente. J'ai la sensation de sombrer, par à-coups, dans un sommeil qui ne fait que me réveiller en sursaut avec l'impression de tomber. Le silence est maître, et seul le clapotis étrange des vagues de l'Océan chromatique me maintiennent éveillée. Seul le clapotis... Il n'y a pas un bruit, aucun son qui provienne du phare, pas plus que de l'extérieur. Mon cœur accéléra un instant et je sortis de ma chambre pour vérifier. Rien. Pas âme qui vive, aucun autre son que la moiteur de mon souffle enfiévré... Mes sens me joueraient -ils des tours ? Suis-je devenue le parfait pantin de la Gangrève ? Je m'approche lentement des portes de mes compagnons, toutes aussi silencieuses les unes que les autres. Je me décide à coller l'oreille contre une porte où je crois déceler un souffle, sans pour autant oser rentrer. Le silence s'affirme durant de longues secondes quand soudain je sursaute, poussant un petit cri de surprise en entendant le son d'un profond ronflement qui provient de la chambre. Evidemment, tout le monde dort, me fis-je la réflexion en maudissant ma stupidité. Soulagée, je descends les marches lentement pour finalement atteindre le corridor menant à la salle de réception, puis à la bibliothèque. J'embrasse du regard les morbides reliures cuivrées, toujours indécise quant à leur origine. Prise d'un vertige, je m'affaisse mollement dans un fauteuil, avant de me laisser hypnotiser par les ondulations des flammes vertes des torches qui m'emportent hors de mon corps.

Je me réveille bien plus tard, toujours prostrée dans ce fauteuil de velours, toujours seule dans le silence. Ou presque. Au-dessus de moi j'entends des bruits de pas dans les escaliers, signe que mes compagnons se sont réveillés. Mais aucune trace de Sœur, ni de Théophrasse... Je me redresse pour me rendre dans la salle de réception avant de faire volte-face pour m'assurer de quelque chose : à l'extérieur les golems sont là, tournant leurs têtes mécaniques vers moi lorsque j'ouvre la double porte, mais sans le moindre signe d'agression. Ils sont au repos, comme lorsque nous sommes rentrés la veille. Ce qui signifie qu'il n'y a pas eu d'attaque durant la nuit, pas plus que Théophrasse n'a disparu. Je repasse par la salle de réception, pour y découvrir avec surprise une table dressée, sur laquelle sont disposés les mêmes plats que la veille, la soupière encore chaude. Pourtant il ne me semble pas l'avoir remarqué quand je suis passée tout à l'heure. J'entends derrière moi les pas d'Eiffor, reconnaissable à sa démarche régulière, vestige de sa carrière de militaire. Je lui fais un signe de la main, lui intimant le silence avant de poursuivre mon exploration. Je m'avance vers l'armurerie d'un pas décidé, caressant la garde de mes dagues comme pour me rassurer. Un bruit de métal, régulier, la morsure de l'acier sur l'acier se fait entendre, un chuintement aigu, comme si des larmes de fer glissaient le long du tranchant d'une lame. Et plus rien, le silence à nouveau, personne dans l'armurerie. Les armes sont toujours là, bien ordonnées, brillantes comme si elles attendaient leur créateur. Derrière moi, Eiffor a accéléré le pas pour me rejoindre alors que je passe au milieu de ce dédale d'acier. Je rejoins les fauteuils sur lesquels j'avais pu échanger avec le Franc-rêveur, avant de remarquer sur la petite tables quatre boites de bois finement gravées, chacune de taille et de forme différentes, et un long tube métallique, noir, semblable aux rouleaux qui servent à transporter les parchemins, mais ce tube est accroché à une sangle de cuir noir lui aussi. Je m'approche avec l'irrésistible envie de les ouvrir, contemplant le travail d'orfèvre de la gravure, quand je reconnais derrière moi le frottement de la cape de moire de Théophrasse sur le sol. Il est accompagné du reste du groupe, devancé par Eiffor qui s'efface quelque peu pour le laisser passer. Il m'accorde un bref regard sans pour autant s'arrêter tout en parlant :

Les Mémoires d'Helledwen, l'Elfe de Sang. Chroniques d'OblivionOù les histoires vivent. Découvrez maintenant