Chapitre 1 La terre des Chimères

17 2 4
                                    

D'une peau de Cendre et aux cheveux de Neige,

Ainsi va l'Elfe Maudite,

Poursuivant son chemin,

Abreuvant sa dague du grenat vivant

Pour combler l'abîme qui creuse son cœur.

Tanwa

999e année du calendrier Justicaarite



Ce rêve. Encore et toujours ce même rêve, qui me hante plus que les autres. Je me vois sur cette montagne, arpentant un sentier. Je distingue ces roches rouges qui m'offriraient un envol mortel si j'osais sauter, le tambour des cascades venant s'écraser dans les ravines, et ce soleil couchant, éclatant.

Je n'ai pas chaud, je n'ai pas froid. Je sais seulement que je respire difficilement dans le silence, un silence qui normalement mettrait mes sens en alerte, mais pas cette fois. Cette fois le silence est apaisant, serein. Pour la première fois, je crois que j'aimerai me perdre dans le paysage et disparaître avec mes éternelles énigmes. Je ne sens pas le sol sous mes pieds, mon corps est si léger. Je pourrais y croire si je ne savais pas que ce n'était qu'un rêve. Je sais que bientôt un bruissement d'ailes se fera entendre, et qu'alors apparaîtra cette merveilleuse créature. Cet aigle noir, majestueux s'approchera et se posera dans le silence des montagnes. Il fera luire l'obsidienne de son corps à la lumière et plongera ses yeux d'ambre dans les miens. Je le sais, il voit en moi. Il voit le sang et la rage, la mort et le plaisir. Mais pourtant il ne semble pas le relever, comme s'il me scrutait sans jugement, sans idée.

Alors une voix douce, chaleureuse, retentit dans ma tête. « Hâtez-vous Rêveur, rejoignez-moi dans le monde de l'Eveil, le monde des chimères est en danger ». Je ne comprends toujours pas ce qu'il attend de moi quand cet aigle reprend son envol, me guidant jusqu'au sommet comme s'il fallait m'y emmener.

J'ai le souffle court, mon cœur bat la chamade, mes poumons me brûlent. L'aigle est là, au sommet, mais il n'est plus seulement un aigle. Il prend forme humaine. Un elfe se tient alors devant moi, il est beau, et irradie de puissance. Un elfe m'a trouvée, un autre elfe que moi, qui peut être saura me répondre. Il est millénaire, son armure est parfaitement ajustée, son épée de nuit me fascine. Et ce qu'il fait partie de ma vie ? Je sens une connexion quand il me tend la main, quand il me dit de me hâter. Sa peau laiteuse cache pourtant des siècles de vie. « Hâtez-vous Rêveur, les chimères se meurent. »

Mais à chaque fois que je m'apprête à le saisir, à oser lui adresser la parole tout semble se cristalliser, je tombe, je le vois s'éloigner sans pouvoir me retenir, tout devient flou opaque et je continue de sombrer dans les ténèbres, craignant que les cauchemars ne me retiennent une nuit de plus.

Je me réveille sur ma couche, tremblante, le ventre creux et parcourue de nausées. Eiffor est à côté, lui aussi réveillé, et nous savons quoi faire, sans se parler. Je suis en sueur, épuisée et pourtant je ne rêve que d'une chose, trouver cet elfe, trouver la vérité. Je griffonne parfois son visage sur un parchemin, il est ancré dans ma tête et je ne peux m'en défaire. Je sais qu'il m'appelle, qu'il me demande de le retrouver.

C'est ainsi qu'avec Eiffor nous sommes partis, en pleine nuit, suivant un appel viscéral, scrutant le ciel en espérant croiser cet aigle d'obsidienne. Des jours de marche, mais nous ne parlons pas. Mon amnésie se fait ressentir, mes cauchemars aussi. Je me réveille souvent les doigts ankylosés d'avoir trop serré les poings, ou le souffle court quand Eiffor me réveille. Mes dagues ne me quittent jamais, je sais que quelque chose me suit, me traque peut-être. Mais quand je rêve de Lui, de cet Elfe lumineux, soudain mes nuits me semblent plus légères, la forêt me semble plus accueillante, moins dangereuse. Mais je ressens toujours ce danger. Nous ne restons jamais longtemps dans un village, nous ne dormons que rarement dans les auberges. Je sais à quel point mon sang est haï, à quel point je fais peur. Quelle ironie de savoir que cette crainte donne confiance quand on est assassin.

Les Mémoires d'Helledwen, l'Elfe de Sang. Chroniques d'OblivionOù les histoires vivent. Découvrez maintenant