Chapitre 9 la cité du roi Fou

19 0 0
                                    

Nous voilà arrivés devant l'entrée monumentale. Nous sommes cernés par ces créatures fantasmagoriques aux yeux de pierre. Du haut de la gondolfière je distinguais vaguement leur forme humanoïde, mais désormais je m'aperçois qu'elles n'ont d'humain que peu de chose. Assises sur un trône de pierre sans ornements, elles dissimulent derrière leur corps une paire d'ailes saillantes sur leurs épaules, taillées dans une roche dure. Leur visage terrible, impassible surplombe la plaine, et leurs mains griffues sont posées sur leurs genoux dans un mouvement d'une sérénité presque inquiétante. Tout traduit la mysticité d'une civilisation déchue, abandonnée par les siens ou perdue dans l'abîme de l'oubli.

Nous saluons notre équipage, je vérifie les sangles de mes fourreaux. Pour cette expédition (car je ne doute pas une seule seconde qu'il s'agit d'une aventure plus longue qu'elle n'y parait), je me suis équipée au plus léger. Laissant mon or sur le navire, j'ai emporté avec moi quelques pierres d'Oblivion, mon paquetage d'exploration (incluant mes poisons et mes potions de soins) et mes rations de nourriture. Et bien entendu toutes mes armes ; soit mes deux rapières, mes deux dagues, mon arc long, mon arc d'Onirum, mon carquois, ma ceinture de bourgeons ainsi que mes trois couteaux de lancer. Je devrais peut-être penser à m'en racheter d'ailleurs. Nous entrons dans la gueule béante de la banquise, et bien vite nous n'y voyons plus grand-chose. Koora invoque alors un sort de lumière qui nous permet de distinguer au moins les reliefs qui nous entourent. Devant nous des marches, grandes, trop grandes, chacune faisant à peine une dizaine de centimètres de moins que moi. Et il y en a beaucoup à en juger par la noirceur qui s'annonce au bas de cet escalier. La descente est fatigante, il nous suffit de sauter les premières marches une à une ; mais au bout d'une dizaine, la fatigue se fait sentir, la tension dans les muscles ralentit les mouvements, les articulations se font raides. J'en viens à vouloir me laisser glisser jusqu'en bas contre la paroi... Et cet escalier n'en finit jamais ! Au bout de presque une heure nous arrivons à un palier. Il semble continuer sa descente mais un sol de glace recouvre à demi la dernière marche. Et devant nous, rien, une caverne, vide, dont le sol est constitué d'eau ; d'un côté, gelée, de l'autre liquide. Tout semble montrer que cette cavité a été inondée puis que la glace a fondu en partie. L'espace est immense et l'eau se perd au loin. Nous reprenons calmement notre souffle, j'en profite pour assouplir un peu mes jambes et surtout mes chevilles qui, avec le froid environnant, sont douloureuses. Vy lance un galet de glace dans l'eau, histoire de réveiller toutes les créatures qui pourraient s'y trouver. A croire que l'épisode de la Mantobscure ne lui aura pas suffi, mais aujourd'hui, il touche du bois : pas une ride menaçante à la surface de l'eau. Il y trempe alors un orteil et recule dans un cri, j'en déduis qu'elle est très froide. Impossible que je plonge là-dedans et au vu de la tête de mes compagnons ils pensent la même chose.

Eiffor propose de creuser la glace pour dégager les marches, mais à moins de vouloir se lancer dans un commerce de glace pilée, ça ne nous sert à rien. J'envisage l'idée d'un radeau fait de banquise puisqu'il n'y a visiblement qu'un sens unique, mais elle est bien trop épaisse. Alors que l'on discute de nos idées, un bruit d'éclaboussures se fait entendre derrière nous ; nous faisons volteface pour découvrir Vy pataugeant dans l'eau. S'il meurt de froid personne n'ira le récupérer, mais vu qu'il est déjà dans l'eau autant qu'il serve à quelque chose. Equipé d'un flambeau de fortune, il nage vers ce que nous pensons être l'autre rive de ce lac souterrain. Il n'est rapidement plus visible, et la seule que l'on apprend, c'est qu'il y a de l'eau. Le voyant revenir, j'enflamme l'une de mes flèches dans le but de voir un potentiel bord, une corniche, une corde, un escalier ; n'importe quoi qui nous éviterait de passer plus de quelques minutes dans l'eau. La flèche part, haute et lumineuse, reflétant la lumière sur un plafond de glace, elle parcourt rapidement cent mètres, cent cinquante, deux cents mètres, avant de chuter et de s'éteindre dans l'eau noire. Dans un regard nous concédons finalement à l'idée de plonger dans une eau proche de zéro degré. Nous retirons tous nos fourrures, nous en servant de baluchon pour tout ce qui pourrait prendre l'eau. Je laisse de mon côté au sol mes rations, perdues pour perdues... Autant que ce ne soit pas un poids mort. Fixant la fourrure sur mon dos j'espère que le cuir sera suffisamment filtrant pour ne pas trop mouiller mes affaires. Nous plongeons doucement, mouillant par avance nos bras, nos têtes, nos nuques, mais vraiment l'eau froide est désagréable. J'avais juré que si je venais à devoir plonger une nouvelle fois ce serait sans vêtements de cuir. Evidemment, j'avais mis mes vêtements de cuir noir ce matin. Ma peau frissonne et je grelotte un peu en restant dans l'eau, mais à force de nager, la température devient tolérable. Avec Eiffor, nous nous efforçons de nous encourager mutuellement ; je vois qu'il a un peu de mal à supporter la température, son souffle est rauque, ses mouvements plus lents qu'à l'accoutumé. Et Vy qui nous nargue avec un sourire benêt en nous expliquant que la matrice le réchauffe de l'intérieur, mais quatre regards noirs le font vite se taire.

Les Mémoires d'Helledwen, l'Elfe de Sang. Chroniques d'OblivionOù les histoires vivent. Découvrez maintenant