Avachie au milieu d'un sortilège de coton flottant à quelques centimètres du sol gris poussière, Amalia ressassait les événements des mois passés. Elle oscillait entre colère, panique et désespoir. La parenthèse de Dubaï lui semblait déjà loin.
Les yeux mis clos, la tête rejetée en arrière, la jeune femme observait les volutes de fumée s'élever dans les airs en tâchant de leur donner une forme ovale. En temps normal, cela ne lui aurait posé aucun problème. Elle avait toujours fait des putains d'ovales parfaits avec la fumée de ses clopes ; avant, autrefois, dans son ancienne vie, cette vie où elle n'était ni défoncée, ni rongée par ses regrets, ni dévorée par une colère sans fin qui la laissait sans force, tremblante. À moins que ça soit le manque.
Kentigern l'avait déposée à Stuttgart trois jours plus tôt et elle était partie en vrille, presque instantanément. Plutôt que d'affronter la réalité — livrée à elle-même, seule, sans but, sans ami... quant à sa famille... — Amalia avait acheté toute la drogue qu'avaient pu lui fournir les bas-fonds de la capitale — trois seringues de Rakabat et assez d'herbe pour tenir une semaine.
La sorcière laissa échapper un rire amer qui rebondit sur les murs nus et mourut dans un écho déformé. Refaire ses stocks, fumer une nuit entière, et trouver la force d'aller frapper à la porte de ses parents. Maison Hohenhoff, quartier des Agates, troisième branche de la famille, son ultime attache à Stuttgart.
« Tu connais notre position, Amalia », avait lâché son père, la surprise de la revoir passée.
Posté sur le perron de la belle demeure, il ne l'avait même pas invitée à entrer.
« Tu n'es pas la bienvenue ici tant que tu portes son nom.
— Il... il est mort », avait-elle bégayé, la bouche écorchée par ces mots.
Amalia écrasa son mégot contre le béton froid. Elle l'aplatit jusqu'à ce que ses doigts touchent le mur et se grisent des cendres, puis le tourna lentement de la droite vers la gauche, de la gauche vers la droite, les dents serrées.
« Désolé pour ta perte »
Elle voyait encore et encore son père refermer la porte et la planter dehors. Elle refusait d'abandonner le nom d'Elfric. Elle n'avait pas pu — et jamais elle ne pourrait — à ce point cracher sur qui elle avait été. Elle était Amalia Elfric, c'était tout ce qu'il lui restait et elle n'entendait pas laisser sa Grande Famille lui arracher ça. Plutôt abandonner Amalia qu'abandonner Elfric.
Un bel idéal, mais les idéaux n'offrent ni gîte ni couvert. Amalia squattait désormais un vieil appartement ouvert aux quatre vents et à la végétation, situé au premier étage d'un immeuble de banlieue affaissé contre les pentes rocheuses du massif qui encerclaient Stuttgart.
Un saut de six mois en arrière. Retour à la case junkie, à la différence près que, cette fois, elle avait pleinement conscience du précipice devant lequel elle se dressait. Elle allait y sombrer, ce n'était qu'une question de temps.
La réserve d'herbe censée durer une semaine lui avait tenu trois jours. Amalia observa le sachet de cannabis éventré sur la planche de bois qui lui servait de table basse. Les trois seringues de rakabat étaient posées juste à côté. Elle n'avait pas encore cédé.
Bouffée de désir, poings crispés, peur au ventre.
Amalia se releva brusquement. Mettre de l'espace entre cette merde et elle.
La sorcière s'approcha du mur défoncé qui, par le passé, avait dû être une baie vitrée offrant une vue magnifique sur les contreforts de Stuttgart. Une armature en métal rongé attestait la présence d'un ancien balcon, tombé depuis plusieurs années. Sans doute le bâtiment entier finirait-il de s'effondrer dans l'année, songea Amalia. Tout comme elle.
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La Sorcière d'Aon
FantasyChère Consoeur, Par la présente, je sollicite l'accord officiel de la Confrérie quant aux démarches que je souhaite mettre en oeuvre concernant Amalia Elfric. Née Hohenhoff le 13 septembre 1875 du calendrier Merlinique, elle présente une capacité in...